Partir

Un matin je partirai sans me presser. Ce sera sans doute au printemps. J’attendrai que la pelouse ressemble à une prairie impressionniste. Je partirai dans la splendeur des primevères fraîchement écloses. J’ouvrirai lentement la porte, je poserai ma valise sur la première marche. Le taxi ne tardera pas à arriver. Est- ce que j’hésiterai ? Je ne sais pas encore. Je regretterai peut-être ce mur , dans ma chambre où se déploie l’ombre des feuilles d’arbres dans la lumière du réverbère. Je partirai comme on se sauve, c’est ce que j’écrirai sur le papier que je laisserai bien en évidence sur la table du salon. Ce sera une fuite sans panache, en l’absence de l’autre, par peur de croiser son regard. Tout sera bien rangé, la maison sera propre. J’aurais aimé tout casser avant de partir mais je n’oserai pas. Je partirai sans bruit, lâchement. Tu ne comprendras rien à ma lettre , tu penseras que c’est ma faute, ou bien la faute du tintamarre de la vie. Ce n’est pas grave, tu as toujours été le roi du déni.

Je monterai dans le taxi et je devrai me décider. Le chauffeur pianotera sur son volant, exaspéré par mes hésitations de dernière minute. Gare du Nord et c’est Hambourg, Kiel, Helsinki. Gare de Lyon et c’est Porquerolles. Il soupirera,  Il ouvrira la fenêtre et je sentirai une dernière fois une odeur de curry. Ma voisine est rentrée la semaine dernière de New Delhi. Je te laisserai Birdy, ça me fend le cœur mais comment entraîner ce pauvre chien dans ma fuite ?

Est- ce que je partirai pour toujours, sans jamais donner de nouvelles à qui que ce soit, comme ceux qu’on appelle «  les évaporés «  au Japon ? Est ce que j’appellerai Jeanne et mes cousines ? Je n’ai rien décidé.
Je partirai en gardant le souvenir des baisers échangés sous la porte cochère tout près du lycée et de l’indignation de nos parents. Je partirai dans l’inexorable cruauté du temps et j’oublierai la souffrance, l’ennui et les éclats de voix. Je partirai dans la douceur d’un vent d’avril. En faisant taire une à une mes hésitations, en détruisant tout ce qui fut et s’est estompé sans retour.
Je partirai oui… quand j’aurai assez de courage, de détermination, alors c’est sûr,  là,  je partirai.

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