C’est un samedi, il est 15h, Odette sort de chez le coiffeur. C’est sa sortie du week-end.
Elle n’a rien prévu d’autre. Pour le moment.
Depuis que Joseph est parti avec sa secrétaire, elle est seule dans l’appartement.
Au début, elle a enlevé toutes les photos où ils étaient tous les 2, souriant à la vie, confiants en l’avenir.
Au début, elle s’est habillée de noir, comme sa mère quand le père est mort. Dans sa famille, on porte le deuil un mois, au moins. Cela évite les questions indiscrètes, du style : « On voit plus votre Joseph !? ».
Odette espère bien ne plus le voir, ce sale type qui préfère s’envoyer en l’air avec une jeunette qui a l’âge de sa benjamine. 22 ans.
Il la dégoûte.
Les aînés sont restés proches d’elle, l’appellent souvent, l’invitent à sortir au cinéma, voir des gens. La vie, quoi.
Mais Odette garde en tête les ultimes reproches, sur son gilet de laine, sa jupe droite, ses bas foncés, et ses chaussures plates. Son cabas était devenu le marqueur de son âge.
– Tu t’es regardée ? Tu t’habilles comme un vieille, ma pauv’ fille. Tu ne me fais plus envie !
Son fils Lionel lui a lancé un défi.
– Tu mets une chemise claire, et tu vas te promener le long du grand boulevard après ton rendez-vous chez le coiffeur.
Elle a dit « Chiche ».
Odette est là, sur le trottoir et devant elle défilent des chars de toutes les couleurs. Une myriade de ballons ont été gonflés. Une musique, un peu forte, rythme les pas des jeunes gens, et des moins jeunes aussi, qui avancent sur la chaussée.
On danse, on se trémousse. Elle repère des personnes très maquillées. Elle voir des gens qui s’embrassent. Des hommes; Des femmes.
Devant elle défile une vie qu’elle avait abandonnée après le départ de Joseph.
Elle s’apprête à reprendre son chemin pour rentrer chez elle lorsque son regard se pose sur une jeune fille qui en enlace une autre. Ce visage lui rappelle quelqu’un. La jeune fille regarde dans la direction d’Odette. Le temps est suspendu.
La parade se poursuit. Odette continue sa route.
Elle entend le bruits de pas accélérés.
– Maman !
Odette se retourne. Aurélie, se tient là, face à elle.
– C’était moi, sur le char. J’étais avec Jeanne ; c’est mon amie.
Odette regarde sa fille, sans réagir.
– C’est pour ça que ton frère m’a suggéré de rester sur le boulevard aujourd’hui ?
– Je ne sais pas. Je ne lui ai pas dit que…
Odette se sent chamboulée.
– Vas-y ! Retourne sur ton char. Ta copine t’attend sûrement.
Aurélie esquisse un sourire et repart en courant.
Odette repère un café avec une terrasse.
Elle s’assied et attend le garçon.
– Bonjour Madame ! Aujourd’hui, nous offrons une rose à toutes les femmes en terrasse. Qu’est-ce que vous prendrez ?
– Un Perrier citron.
– Lulu ! Un Perrier rondelle pour la p’tite dame à la 8 !
Le garçon revient et dépose la boisson. Odette ose une question :
– C’est pas trop bruyant aujourd’hui ?
– La Pride ?
Odette le regarde, interloquée.
– La Marche des Fiertés, si vous préférez… Non, ils ne sont pas méchants, et ils animent le quartier autrement qu’avec des coups de klaxon et des insultes entre cyclistes et motards, ou entre automobilistes et piétons. Mon frère est homo, vous savez. Ça ne me dérange pas.
(*) Merci à Jean-Luc pour le titre.