Au fond de nos poches

Manon ouvre la porte et même avant de tendre le bras à l’extérieur une vague de froid l’envahit. Elle referme vite en ayant la réponse à sa question. Il est temps de mettre le manteau d’hiver. Elle ouvre le placard et en extrait la doudoune qui attendait la fraîcheur pour ressortir. Elle s’enveloppe dedans puis s’enfouit dans une grosse écharpe bien douce. Elle glisse ses mains dans les poches pour retrouver les choses perdues l’année précédente. Ces objets dont on a oublié l’existence et qui attendent tous les ans de ressortir. Ses doigts rencontrent un vieux mouchoir et une chaufferette. Puis l’autre main tombe sur un papier. Etrange. Un vieux reçu égaré peut-être. Elle le sort intriguée. C’est un papier blanc plié en deux. Elle le déplie délicatement. On voir qu’il est resté un moment dans la poche car les lignes de plis sont décolorées et marquées. Il y a quelques mots écrits dessus : « On se retrouve à l’arrêt de bus après les cours ? » Manon ne comprend pas d’où peut venir ce mot. La formulation et le contexte indique plutôt quelqu’un de jeun qui va encore en cours. Ce n’est clairement pas son cas à 32 ans. Elle ne se souvient pas l’année dernière d’avoir côtoyé qui que ce soit qui allait encore à l’école. Encore moins quelqu’un du genre à glisser un papier dans sa poche. Un rapide coup d’œil à sa montre lui indique qu’elle n’a pas vraiment le temps de se pencher sur la question si elle veut avoir son train. Manon attrape son sac et ferme à clé la porte avant de partir d’un bon pas vers la gare. Le mot est retourné dans sa poche. Elle fait glisser ses doigts sur les côtés en réfléchissant à cette étrange découverte. Surtout, elle se demande pourquoi elle reste accrochée à ces mots. Pourquoi a-t-elle envie de comprendre d’où vient le papier ? Cela peut avoir plein d’explications plus ou moins plausibles. U vieux mots mit machinalement dans une poche. La blague d’un ami. Quelqu’un qui se serait trompé de manteau. Pourtant dans un coin de son esprit, elle a l’impression de reconnaître cette écriture. Une fois assise dans le train, elle ressort le mot et se met à étudier la forme cette fois-ci et non le fond. Comment les lettres sont formées. Comment les mots penchent tous légèrement. Comment la majuscule forme une boucle. Plus elle observe et plus le sentiment de connaître l’auteur s’intensifie. Elle a presque l’impression de reconnaître sa propre écriture. Les lettres sont plus rondes et mieux définies mais cette façon d’écrire en italique ressemble énormément à la sienne. Elle passe tout le trajet à étudier ce vieux morceau de papier au lieu de dormir ou de feuilleter un livre. Elle le range rapidement dans sa poche quand elle voit son arrêt approcher. En arrivant au travail, elle dépose son sac puis rejoint ses collègues. Ils échangent sur les affaires en cours, s’amusent de l’histoire d’untel autour d’un café. Mais Manon ne peut s’empêcher de penser au papier. Une fois revenue à son bureau, elle le sort à nouveau de sa poche. A force de le fixer, elle a envie de répondre. Elle attrape un stylo et avant de laisser ses pensées s’entremêlées elle écrit : « Pourquoi pas mais qui es-tu ? » A peine les mots écrits, elle rit d’elle-même et range le papier. Sa journée de travail l’empêche de repenser à cette étrange note jusqu’au soir où sa main la rencontre à nouveau. Elle la ressort et en-dessous de sa réponse elle voit : « Manon et toi ? »

« PS : Ne crois pas ce que Coralie te dira. Même si tu penses qu’elle a raison, elle a tort sur toute la ligne. » Le stylo de Manon reste suspendu. Elle a envie de dire plus. D’expliquer à cette ado mal dans sa peau que tout ira mieux et qu’elle n’a qu’à accepter qui elle est. Elle a envie de lui épargner les années de questions, de doutes et de déprime. Et en même temps qui serait-elle sans ces années. Elle regarde autour d’elle comme pour observer sa vie et elle ne veut rien changer. Alors elle prend le marqueur le plus noir qu’elle trouve et rature ses mots presque à en trouer le papier.

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Une réponse à Au fond de nos poches

  1. Emmanuelle P dit :

    Bonjour Lucile,

    A la relecture, le mystère s’épaissit… Je suis toujours épatée, ébahie de ton aisance à m’emmener (et sûrement d’autres lecteurs) dans des fictions palpitantes (je ne sais pas si les mots vont bien ensemble, tant pis) !

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