Dans sa poche, je découvre un papier plié en 4.
L’invitation tient toujours pour vendredi 22. A 18h place de la Prévoyance.
Je connais mon lascar. Il n’est pas fichu de vider les poches de ses jeans avant de les jeter dans le panier à linge sale. Au début, il lui arrivait de glisser amoureusement des mots doux, des propositions indécentes. Ça restait entre lui et moi. J’adorais.
Mais là, je tique. Vendredi 22 novembre – c’est la première date que j’ai en tête – je serai en séminaire à Toulouse, et je rentrerai le samedi 23 avec le premier train.
J’en déduis que je ne suis pas la première personne conviée sur le papier. Quant à la place de la Prévoyance, je ne vois pas où c’est.
C’est la première fois que je tombe sur un message qui, a priori, ne m’est pas destiné, dans la poche de mon homme.
Est-ce qu’il teste ma jalousie, comme je le lis dans la rubrique Couple de mon magazine préféré ? Le mois dernier, une lectrice demandait à la psy de papier comment réagir à la découverte d’un préservatif dans la boîte à gants de la voiture de fonction de son mari. La professionnelle avait répondu à la lectrice en questionnement que le véhicule de fonction était exclusivement réservé au salarié de l’entreprise. Cet avantage en nature n’avait pas à être visité par toute autre personne. Autrement dit, la lectrice déboussolée se mêlait de ce qui ne la regardait pas.
J’avais lu la réponse à mon Loulou, et il n’avait pas réagi. Certes, ce n’était pas le moment opportun. Le XV de France était en passe de battre la Nouvelle-Zélande, et il commentait le match par SMS avec son frère qui habitait à 800 km.
Au fond, je crois que parfois je saoule mon mec à lui raconter les questions-réponses de la rubrique Couple/sexo du magazine féminin que je laisse négligemment sur la table basse du salon. Je me dis que cela pourrait pimenter notre quotidien. Mais les histoires des autres, il s’en fout. A la rigueur, s’il feuillette la revue, c’est pour les recettes de cuisine.
Pourtant, il ne s’amuse jamais à titiller la casserole ni à jongler avec les ustensiles. Lui, il attend pour goûter, donner son avis, délivrer une pensée : « Et si tu ajoutais une pincée de cannelle ? ». Ce qui a le don de m’énerver, car je déteste la cannelle. Ma mère en mettait partout au point d’intensifier le rejet de cette épice.
Dans ma tête s’entremêlent mes questions, les interrogations des lectrices du magazine, les non-réponses de mon Jules et les affirmations de la psy en carton.
Au final, me trompera-t-il le vendredi 22 après 18h ? Ou bien, teste-t-il ma confiance ?
Un frisson me parcourt l’échine. Je viens de percuter. Notre fille Élise vient d’emménager Place de la Prévoyance. J’ai peut-être tout faux.