Ose

Alexandre sourit sous le pont, respire en attendant le bus 46. La pluie a cessé, enfin. Son imper est trempé. L’affichage indique une arrivée du bus 46 dans quatre minutes.
Alexandre voudrait reprendre sa lecture, Alexandre souhaiterait lâcher son écriture. Il se remémore un « osons » électoral d’un candidat oublié. Puis il fredonne un « osez » d’une Joséphine à l’arrière d’une berline.
Qu’il est drôle ce verbe oser, il est rond, il est court. On dirait un mot amputé. Est-ce pour cela qu’Alexandre n’ose pas ? Il fait de la prose, il prend la pose, il aimerait tant faire la chose avec des pétales de roses. Il ne connaît pas la cause de ce manque d’allant.
Le bus approche, met son clignotant, freine doucement. Les portes battantes s’ouvrent. Alexandre salue le chauffeur, il rougit, c’est une femme. Il est surpris. C’est la première fois qu’il prend le bus 46 et la première fois qu’il voit une femme au volant d’un bus parisien.
Il trouve un siège près d’une fenêtre mais avec vue sur le rétroviseur. Il espère croiser son regard. Elle conduit, concentrée sur la route.
Alexandre perd espoir et ouvre son livre page 46. Il ne se passe rien non plus dans ce livre. Les personnages sont fades et plats, mais il espère qu’il va se passer quelque chose d’extraordinaire.
Le bouton* arrêt demandé a été actionné. Ça tombe bien, il doit descendre à la prochaine. Il referme son livre page 48. Il n’a pas réussi à vraiment lire. Un autre jour peut-être. Il respire et soupire profondément. C’est l’histoire de sa vie : Tout faire un autre jour. Le jour où il osera.
La ville est de toute beauté après la pluie. Il aime l’odeur du goudron mouillé et l’effort du soleil pour s’imposer. Ça en a fait de belles chansons, pense-t-il. Et puis Alain Bashung lui revient en tête avec ses « Vertiges de l’amour ».
Alexandre, Alain, ça commence pareil, se dit-il. Est-ce qu’Alain s’en sortait mieux que lui pour trouver le ou les trésors de sa vie, avait-il une carte, une technique de drague imparable ?
Alexandre a 28 ans. Il aimerait oser. Souvent. Tout le temps. Qu’aurait-il à perdre à tenter ?

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