Le monde, en une seule nuit, s’était aplati. Il était désormais en deux dimensions, comme replié sur lui-même. Campé avec fragilité sur des feuilles de papier, il se maintenait tant bien que mal. Les immeubles, les gratte-ciel étaient désormais des origamis complexes et incertains, surtout au niveau des balcons. La philharmonie de Paris avait perdu de sa superbe et ressemblait à une grosse cocotte. Surtout, les gens avaient l’air vides. Hagards. Les yeux n’étaient plus que deux points sans vie sur une surface plane. Les mouvements, limités. Et la pluie ! Quel désastre. À chaque averse, la ville luttait pour se protéger. La vie de papier est une aventure…
Personne ne savait pourquoi c’était arrivé. Même les étoiles s’étaient soudainement transformées en épingles d’or sur la toile bleue. Une fois devenue de papier, l’humanité, surprise, cessa soudainement ses guerres et ses destructions acharnées. Tout simplement car, un char de papier, ce n’est pas bien meurtrier. À quoi bon. Aussi, tout le monde était alors à égalité. Vulnérable. On aura tôt fait de découvrir que, plié d’une certaine façon, le papier était doté d’une certaine solidité. Mais, le lendemain de cette transformation, la paix était tombée sur la Terre.
Un matin — car les transformations ne se produisent que la nuit — la lune avait retrouvé ses trois dimensions. L’humanité était suspendue au temps : quelle bonne nouvelle, de retrouver la vie d’avant ! Sauf que, les minutes et les jours passaient, et il n’en fut rien. Elle était condamnée à être de papier. Une mélancolie envahit ce grand atlas de papier qu’était devenu le monde, cornant ses points, usant ses couleurs peu à peu. Tout était délavé, triste. Certains êtres, plus sages que les autres, sentant la catastrophe arriver, décidèrent qu’il était urgent de recolorer leur toile.
Alors, ils sortirent tous leurs tubes de peintures. Ils tapissèrent la surface du monde de couleurs vives et ne cessèrent jamais de contempler la lune. Peu à peu, le subterfuge prit. Étrangement, ces couleurs redonnèrent du relief à leur environnement, à leur quotidien. Les plus optimistes plantèrent des graines de papier, espérant que des milliers de fleurs se déplieraient au printemps. Ils mirent de la colle sur les trous, ils bichonnèrent leurs quartiers. C’était ce qui avait toujours manqué.