Ça déménage

  • Chaque chose à sa place, le coussin avachi sur le divan défraîchi, la tasse d’arabica sur la table en formica, le trou dans le papier peint derrière le miroir, la mouette à côté de la girouette, le Picasso dans mon dos, mon cerveau sur le périphérique, le poète dans le printemps…
  • Je ne voudrais pas noyer le Lamartine en toi, mon chéri, mais nous avons du pain sur la planche et je n’ai pas l’intention de tout me coltiner et de te laisser juste les miettes. Tiens passe-moi le coussin, d’où tu vois qu’il est avachi, d’ailleurs ? C’est un coussin de chez ma grand-mère, je te signale, ça traverse les siècles ces trucs-là, pas comme la camelote d’aujourd’hui. Enfin bref… T’as pris de quoi emballer le miroir ? Ah oui, tiens, c’est vrai, il y a un trou dans le papier peint, juste derrière… Je m’en souviens maintenant, c’était la seule fois où tu avais sorti la perceuse de son placard… que veux-tu, on ne peut pas être doué en tout… mais oui je t’aime quand même, mon chaton. Enfin, je ne sais pas si ton cerveau est sur le périphérique comme tu dis, mais c’est surtout de tes muscles dont on aurait besoin, là tout de suite… aide-moi avec le divan défraîchi on va le mettre dans l’entrée… voilà. Je me demande ce qu’ils font avec le camion, j’espère qu’ils ne sont pas bloqués avec ton cerveau sur le périph, je leur avais pourtant dit de partir hyper tôt, mais penses-tu, ils ont dû faire une hyper fête hier soir et voilà, l’arabica n’a pas suffi… il y a des limites à la magie des plantes. Tiens à propos de plantes je me demande bien comment on va faire avec ton ficus… c’est génial d’avoir la main verte mais là c’est plus un ficus, c’est un séquoia.
  • Ma parole, mais tu es un moulin à paroles ce matin… Pour ce qui est de Gabrielle et Kevin, ils sont peut-être en retard, mais c’est quand même rudement sympa de leur part de venir aider leurs parents à déménager. Ils n’étaient pas obligés… sauf qu’on aurait pu les déshériter, bien sûr… je plaisante ! Et je trouve cela chou qu’ils passent encore des soirées ensemble, il y a tellement de frères et sœurs qui ne peuvent pas se voir en peinture. A propos, tu crois que c’est utile de déménager ces vieux pots de peinture ? Quand je vois le carton avec les affaires de bricolage, je me dis qu’on ferait aussi bien de tout bazarder, non ?
  • Ah ben c’est sûr que pour ce que tu t’en sers des outils, ce ne serait pas une grande perte… Mais qui sait, à Toulouse je vais peut-être refaire ma vie avec un beau plombier musclé… Aïe !!! je plaisante… donne-moi cette serpillière, tu vas te blesser ! Oui tu as raison, ils sont cools nos enfants. Ce matin j’ai retrouvé un vieux cahier de Kevin au grenier. Tu te rappelles la fois où ils ont fugué ensemble ? Ils devaient avoir, quoi, 8 et 10 ans. C’est Gabrielle qui avait entraîné son petit frère… Kevin a dit d’accord, mais pas trop loin, pour ne pas nous inquiéter, c’est écrit dans son cahier.
  • Ah les femmes… ce sont toujours elles qui entraînent les faibles hommes sur les chemins de la perdition… Aïe !!! je plaisante… range cette serpillière ! le carton des affaires de cuisine est à tes pieds. N’empêche qu’on avait eu les jetons ce jour-là… heureusement que la voisine nous a appelé tout de suite… elle s’était étonnée de voir une tente mal montée dans son jardin.
  • A propos de voisins, tu as rencontré notre nouvelle voisine ? je veux dire notre future ex voisine ? Tu sais comment ils ont appelé leur bébé ? Georges. Non mais tu y crois ? Tu t’imagines donner le biberon à Georges ? Je sais qu’il y a des cycles dans les prénoms, mais là j’ai l’impression qu’ils ont donné quelques coups de pédales en trop. C’est du futurisme vieux-jeu !
  • Du futurisme vieux-jeu, j’adore ! Et tu me sors ça alors que mon carnet est au fond de je ne sais plus quel carton… attends je vais carrément l’écrire sur le carton… donne-moi le marqueur… et voilà. Je vois déjà la tête de Gabrielle, à l’arrivée, dans l’appartement vide à Toulouse : « – Et le carton futurisme vieux-jeu il va dans quelle pièce ? – Avec les affaires de bricolage ma chérie : balance-le par la fenêtre, avec un peu de chance il s’écrasera sur la tête d’un plombier musclé ! ».
  • Très drôle ! N’empêche, pour en revenir à la voisine, quand elle m’a parlé des couches de Georges, je n’ai rien compris, je pensais qu’elle parlait de l’incontinence de son père, j’ai failli lui dire que ça ne me regardait pas…
  • Tu sais que tu es incroyablement sexy avec ta salopette et tes bottes en caoutchouc ? tu portes quelque chose dessous ? Quel dommage que le lit soit rangé en petits morceaux dans le couloir, j’aurais bien basculé vers une autre activité.
  • Mon petit intello conventionnel, si les enfants n’étaient pas sur le point de débarquer je t’aurais bien montré ce qu’on peut faire avec une simple table en formica… j’ai hâte qu’une fois dans le sud-ouest tu te mettes à la corrida, ou au rugby, ou les deux… Je plaisante tu sais bien que c’est ton esprit qui me fait vibrer, je laisse les acrobaties aux circassiens ! Tiens voilà nos deux clowns préférés qui arrivent.

 

 

 

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