Aujourd’hui est un jour particulier. Chaque personne venue a une initiale unique. C’est rare et digne d’être soulevé. Ça renforce l’idée parfois oubliée que chaque individu a sa personnalité propre. Alors pourquoi pas sa propre initiale ? Jamais partagée.
Le diseur de bonne aventure lui avait dit : tu rencontreras une personne avec cette initiale dans son nom ou son prénom, tu iras ensuite en Grèce ou en Allemagne, alors que la fois d’avant c’était en Israël ou en Italie.
Ma grand-mère lui avait dit : tu sais dans mon pays, les pays dont tu me parles ne commencent pas par la même lettre. Le diseur de bonne aventure avait fait fi de cette remarque. En tout cas, ce sera en Europe, lui avait-il affirmé. C’est son troisième œil qui lui avait dit. Ma grand-mère avait fait le tour des personnes qui lisaient le tarot, le marc de café. Elle avait passé des journées et des nuits à parler, refaire le monde avec ses copines de lycée, ses voisines. Une vraie sororité qui aujourd’hui encore la marque profondément, un jour digne d’être célébré.
– C’était il y a tellement longtemps, nous raconte-t-elle.
Carla ose interrompre :
– Dis Mamie, c’était vrai ce qu’il t’avait dit le direur de bonne aventure.
– Le diseur, ma chérie, pas direur.
– Ah d’accord, mais pourtant on dit dire pas dise. Ça serait plus logique, non ?
– Oui c’est vrai ma p’tite Carla, mais tu verras bien en grandissant que la vie n’est pas toujours logique. Et les mots non plus.
– Alors, le diseur de bonne aventure, il t’avait dit la vérité ?
– Je ne sais pas. Je ne crois pas. Il a dit sa vérité. En tout cas, je ne suis pas allée en Grèce, ni en Allemagne. Et l’Italie, j’ai dû y aller mais en vacances. Je n’y ai pas travaillé.
– Euh Mamie, tente Elliott, en fait, on veut savoir pour ton amoureux, avec l’initiale. C’était Papy ou pas ?
– Vous êtes des petits coquins ! Évidemment que c’était votre papy !
– Et c’était la bonne initiale ?, insiste Gabriel.
– Ben, figure-toi que je ne me souviens plus de l’initiale qu’il m’avait donné parce qu’avec son tour du monde des pays qui commençaient par telle ou telle lettre, j’ai plus eu l’impression de jouer au petit bac.
– Ah mince, soupirent-ils tous en chœur.
Une odeur de tabac s’approche. Les enfants sautillent et lui font la fête.
– Papy, papy. Elle t’a dit mamie pour l’initiale de son amoureux ? Dis, Papy, tu t’en souviens toi si c’était la bonne initiale ?
– Laissez-moi poser la pastèque d’abord et je vais vous raconter, répond le grand-père en ébouriffant les cheveux de Gabriel, le plus grand.
Il pose la pastèque sur la table avec la toile cirée, jette un regard tendre à ma grand-mère, puis va s’asseoir sur le banc à l’extérieur.
Tous les enfants s’agglutinent autour de lui, Carla court sur ses genoux, Elliott se cale sur l’autre flanc et Gabriel se met en face de lui sur un petit banc. J’apporte la pastèque que ma grand-mère a découpée à une vitesse grand V. Je m’appuie un peu plus loin contre le muret. Mon grand-père commence :
– Alors, comment s’est passée votre journée ? Vous avez écouté Mamie ?
– Oui, oui, oui, crient-ils à l’unisson.
– On a fait une chasse à l’homme avec les voisins.
– Moi, j’ai fait un joli dessin, dit Carla. Mamie l’a accroché dans la cuisine.
– On a beaucoup couru pour la chasse à l’homme, Papy, t’aurais vu Gabriel, il était tout rouge, tout transpirant, c’était super marrant.
– Ben, heureusement que j’ai couru super vite, sinon tu serais encore prisonnier. C’est moi qui vous ai tous sauvés !
– T’es notre grand-frère ou pas ? T’arrête pas de dire que c’est toi le plus grand, le plus fort et tatati et tatata.
– Tu me saoules Elliott, t’es toujours dans mes pattes, à vouloir jouer avec MES copains !
Carla suce son pouce et regarde le spectacle de la même dispute quotidienne entre ses deux frères. Elle me jette un regard rieur en coin. Je lui souris et hausse les épaules. Je croque dans un morceau de pastèque et crache les pépins par terre. En quelques secondes, une colonie de fourmis s’invite et embarque un à un les pépins dans un endroit secret.
Mamie sort avec son téléphone. Elle nous prend en photo sans prévenir, histoire de capturer l’instant, un instant de vie. Elle a une flopée de photos de nous, à tout âge, accrochée au mur, sur le frigo, dans des cadres. Une véritable galerie d’art. Elle demande souvent à ma mère de lui imprimer les photos. Elle aime la sensation du papier glacé plus que celle de l’écran de son téléphone. Ça lui paraît plus réel. On lui paraît plus réels peut-être aussi.
Pour mettre fin à la discussion houleuse de mes frères, je pose une question à mon grand-père :
– Papy, tu connais l’histoire de l’initiale ?
– Ah oui, commence-t-il, il faut que je vous raconte ça ! Alors voilà, je vous ai déjà dit que j’étais fou amoureux de Mamie ?
– Ouiiii
– En fait, j’étais fou amoureux d’elle avant même de la connaître. Le nombre de fois où j’ai raté la passe au foot parce qu’elle jouait juste à côté. Je suis tombé amoureux d’elle à l’école primaire, peut-être même à la maternelle.
En tout cas, aussi loin que je me souvienne, mon cœur lui appartenait déjà. Mais elle, elle ne me voyait pas. Déjà petite, Mamie c’était une rêveuse, toujours la tête dans les nuages, des étoiles plein les yeux. Il y avait beaucoup de garçons qui lui tournaient autour. Moi, ça me rendait fou de jalousie. Mais elle, elle ne s’en rendait pas compte. Elle continuait son chemin.
Quand j’étais petit, j’étais extrêmement timide. J’avais tellement peur qu’elle ne m’aime pas en retour. Je ne demandais même pas qu’elle m’aime autant que moi. J’espérais nuit et jour qu’elle daigne poser un regard sur moi.
A l’adolescence, j’ai joué au con. Vraiment, j’étais un p’tit con. Je me prenais heure de colle sur heure de colle pour mon insolence envers les profs, je me bagarrais sans cesse à la récréation, encore plus contre ceux qui parlaient de Mamie en pariant qu’ils réussiraient à la mettre dans leur lit.
De la cuisine, on entend Mamie dire :
– Je t’entends, chéri, là.
– Ben, c’est pas comme si tu la connaissais pas l’histoire non plus, non ?
– Non, c’est pas ça, mais ils sont petits les p’tits. Fais attention à ce que tu racontes.
– C’est pas grave, ça leur apprendra un peu la vie !
Carla continue à sucer son pouce, elle tournicote une mèche de cheveux sur son index. Elliott file un coup de poing « pour de faux » sur le genou de Gabriel. Gabriel lui renvoie une torgnole « pour de vrai ». D’une voix sanglotante, Elliott dit :
– Mais euh, ça fait mal, moi c’était pour de faux.
– C’est ça, bien sûr, pour de faux. T’arrêtes pas de me chercher, ben tu me trouves. Pas la peine de pleurnicher.
– Pourquoi tu me dis ça ? C’est méchant ! T’es vraiment nase comme grand-frère !
– Je m’en fous. Laisse-moi tranquille.
– Les enfants, les enfants, on se calme là, vous voulez la suite de l’histoire ?
– Ouiii, dit Carla en enlevant le pouce de sa bouche avant de le remettre immédiatement après avoir été entendue.
Les fourmis ont terminé leur trajet avec les pépins de pastèque.
– Mais Papy, demandé-je. Mamie, elle a vraiment jamais su que tu étais amoureux d’elle pendant des années ?
– Ben oui, enfin c’est ce qu’elle m’a dit.
Mamie se penche par la fenêtre. Je suis la seule à la voir. Elle me fait un n’importe quoi d’un geste de la main. Je souris discrètement de cette complicité.
– Bon, je reprends l’histoire. Je suis pas super fier de moi mais bon ça fait partie de la vie aussi. Comme Mamie m’ignorait complètement, je m’étais fait une raison. Je suis devenu un véritable coureur de jupons. Va comprendre l’époque ! Être un mauvais garçon, ça attirait plus les filles qu’être quelqu’un de bien. Je vous déconseille ça Gabriel et Elliott. Ça sert vraiment à rien. Mais bon, vous ferez comme vous voudrez.
Enfin bref, j’étais connu comme le loup blanc. Et c’est seulement là que Mamie a enfin entendu parler de moi. Comme si avant, je n’avais jamais existé pour elle.
Le problème c’est, qu’en fait, elle disait à toutes ses copines : jamais de la vie un mec comme lui dans ma vie !
Elle était obnubilée par un milliard de personnages imaginaires : un héros de film, un héros de livre, même des personnages secondaires. Tous, absolument tous étaient mieux que n’importe quel garçon réel et vivant, et pire encore, tous étaient mieux que moi qui l’aimais tendrement.
Mamie lance un :
– Il est 7 heures, on va bientôt dîner !
– D’accord, répondons-nous tous ensemble.
– Papy, c’est bientôt fini l’histoire ?, interroge Elliott.
– Ben non, c’est pas bientôt fini vu qu’elle dure encore, le taquine-t-il en lui frottant le nez de son index.
– Raconte avant que Mamie dise que ça va refroidir, supplie Gabriel.
– J’en étais où ?
– Ben que tu l’aimais tendrement et qu’elle, elle aimait des héros imaginaires.
– Et des chanteurs aussi, j’ai oublié de vous dire, ou alors juste le batteur d’un groupe.
Comme je vous disais, votre mamie c’est une grande rêveuse. Pendant des vacances scolaires, je crois celles de la Toussaint, avant qu’on passe à l’heure d’hiver, donc oui ça doit être ça, à la Toussaint, à la fin du lycée, je suis allé me promener en forêt, à la montagne. J’étais en vacances chez mes grands-parents. Ils ne parlaient pas beaucoup eux, ni entre eux, ni avec nous. C’est là-bas qu’avec mes frères et sœurs, on a appris le silence et à quel point ça pouvait être précieux. Enfin, on a compris ça beaucoup plus tard parce que, quand nos parents nous disaient « vous allez passer vos vacances chez Papy et Mamie, ils vont vous garder », on tirait une gueule de six pieds de long.
– Je t’entends chéri, là.
– Oui, oui, et ben au moins, ils auront du vocabulaire fleuri les p’tits.
Revenons à nos moutons, dit-il en nous faisant un clin d’œil. D’ailleurs, j’espère que vous ne tirez pas une gueule de six pieds de long quand votre mère vous dit que vous allez passer vos vacances ici ?
– Ben, nooon, pardi. Moi, j’aime bien venir ici, j’aime pas l’école, avoue Carla.
Les deux frères se tapent dans la main, complices. Pareil pour eux, je me dis.
– Ah, ça me rassure, dit Papy. Je continue l’histoire ?
– Oui, vas-y, s’impatientent les frères.
– Donc j’étais parti en forêt, dans la montagne. Mon grand-père m’avait prévenu : rentre avant la nuit sinon Mamie va se faire du souci. C’était la phrase la plus longue qu’il m’ait dite de sa vie.
On se met à rire de bon cœur. Heureusement que notre papy n’est pas comme son papy à lui. Il est rigolo notre papy.
– Je me suis promené longtemps, j’ai poussé des fougères, enjambé des troncs tombés à terre et puis je me suis posé seul tout en haut, sur un rocher isolé avec une vue surplombant la vallée. Et là, je me suis dit : il me faut un plan !
– Un plan ? Quel plan ?, s’entiche Gabriel.
– T’as envie de savoir mon grand ? Pourquoi ? T’aurais pas une p’tite amoureuse, toi ?
– Ben, euh, non, rougit Gabriel.
– T’inquiète, je ne le répéterai pas. On continue ?
– Ouii.
– Mon plan c’était du génie ! Je savais que Mamie était à fond sur des trucs ésotériques.
– Ésotriques ? Ça veut dire quoi, demande Carla.
– ÉsoTÉriques, Carla. Ça veut dire que Mamie préfère croire à des choses dirons-nous spirituelles qu’à des choses tangibles.
– Voilà, c’est ça, lance Mamie de l’intérieur de la cuisine.
– Bon, mon plan, je vous l’explique ?, continue-t-il en chuchotant.
– Oui, murmurent-ils.
– Mamie, elle était à fond jeu de tarot, marc de café, horoscope et tout le tintouin.
Alors j’ai eu une idée de génie (oui, je l’ai déjà dit, mais vous allez voir, c’est vraiment une idée de génie). Mais il me fallait un complice.
J’ai appelé mon meilleur pote Paul. C’était aussi mon meilleur pote parce qu’il n’avait pas de vue sur Mamie. Ça c’est super important !
En rentrant de vacances, je lui expose mon plan : il faut que pour Halloween, tu te déguises en diseur de bonne aventure. Il ne faut pas qu’elle te reconnaisse à la soirée, tu feras gaffe hein ?
La fête pour Halloween était prévue depuis la rentrée de septembre et on avait tous fait en sorte d’être de retour de nos vacances pour cette fête. C’était dans la maison de Martin. Ses parents avaient été d’accord. Ils avaient pensé que ça allait aider Martin à avoir plus de copains.
Donc Paul se déguise et il fait le diseur de bonne aventure pour tout le monde. La consigne qu’il avait eue c’est : tu lui dis qu’elle va rencontrer et tomber amoureuse d’un garçon avec mon initiale, capisce ?
Il m’avait répondu ouais, ouais. Il s’était pris au jeu, il y avait une queue hallucinante devant son stand. Certaines filles l’avaient reconnu et il leur avait demandé de garder le secret.
Mamie est arrivée, il lui a raconté qu’elle allait partir travailler en Grèce, en Allemagne avec un fort accent trafiqué, un mélange d’accent d’Europe de l’Est et de mafieux italien. Il était entré à fond dans son personnage le Paulo !
Il lui avait pris la main pour lire ses lignes. Quand il a vu mon regard noir, il l’a lâchée puis a battu des cartes. Je vois, je vois, parce que je vois avec mon troisième œil, je vois, je vois que tu vas vivre longtemps. Je vois, je vois que tu te fais beaucoup trop de souci. Tout va bien se passer. Je vois, je vois que tu vas avoir beaucoup de réussite au travail.
Il tournait autour du pot le con, mais en vrai, sa stratégie était la bonne. Parce que, d’un seul coup, Mamie a demandé : mais, Monsieur, vous me parlez de tout sauf de ma vie amoureuse.
Oui, c’est vrai, tire une carte jeune demoiselle. Je vois, je vois, parce que je vois avec mon troisième œil, je vois que tu vas faire un choix.
Je l’ai fusillé du regard, les enfants, je me suis dit, mais qu’est-ce qu’il fait ce con ?
– Je t’entends chéri là !
– Je reprends, murmure-t-il. Donc je l’ai fusillé du regard le Paul. Je me disais mais qu’est-ce qu’il va l’embrouiller là ?
Et elle, elle était pendue à ses lèvres et lui a demandé : Mais je vais faire le bon choix ?
Il lui a dit ensuite, tu vas rencontrer quelqu’un avec cette initiale dans son nom ou son prénom. Mais il n’a pas répondu à sa question. Comme si le choix était déjà fait. C’était la bonne initiale. Un point. Un trait. Je lui ai jeté un pouce en l’air.
Je vous avouerais les enfants qu’elle a mis un peu de temps à percuter Mamie que j’avais la bonne initiale !
– A table tout le monde. Aujourd’hui, c’est un jour particulier, un jour digne d’être célébré.
– Allez les loulous, elle vous a plu l’histoire ?
Mamie me jette un regard complice.
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PUBLICATIONS DES PARTICIPANTS
J’ai fréquenté durant plusieurs années les ateliers d’écriture Sous les Toits de Cécile et Philippe, que je viens de retrouver en novembre avec Les Petits Papiers. Depuis la pandémie, je me suis lancée un peu plus « sérieusement » dans l’écriture et mené certains projets à bien. Après « le Fils de l’autre », que j’ai déjà présenté sur ce blog, « Avenue du Père-Lachaise » est mon deuxième roman. Il est né de ce qui devait, au départ, être un recueil de nouvelles. Celles-ci étaient souvent liées les unes aux autres en une sorte de « suite », je les ai remaniées pour en faire cet OLNI (objet littéraire non identifié), qui a trouvé son éditrice, les Editions Marie Romaine, https://www.editionsmarieromaine.fr/. Ce roman choral est sorti en janvier 2024. En voici le pitchDeux femmes, trois hommes, un lieu : le cimetière du Père-Lachaise, à Paris. Au fil de ce roman, des vies se télescopent, des destins se lient, des êtres se trouvent ou se séparent. Les personnages rebondissent d’un chapitre à l’autre, tous réunis dans cette mystérieuse nécropole par l’absence, le manque, le deuil, l’espoir d’une renaissance. Si la mort a un jour croisé leur chemin et redessiné leur parcours, sa présence n’arrive jamais à obscurcir cette valse mi-joyeuse, mi-tragique, au terme de laquelle l’un d’eux va disparaître.Et le lien pour découvrir le livre : https://www.editionsmarieromaine.fr/product-page/avenue-du-p%C3%A8re-lachaise-monique-blond Merci pour votre lecture !
La danse du papillon provient d’un texte court produit pendant un atelier d’écriture que j’avais suivi il y a une trentaine d’années. Par la suite, j’ai repris cet écrit à plusieurs reprises, tout en rédigeant d’autres textes sans rapport avec cette ébauche. C’est plus tard que, disposant de temps et de disponibilité d’esprit, j’ai ressorti de mon ordinateur les brouillons successifs du petit texte initial pour travailler encore et encore une histoire dont je ne savais pas très bien où elle allait. Et petit à petit, quelque chose a commencé à prendre forme, qui s’était éloigné du tout premier texte d’atelier, qui puisait aussi dans d’autres textes moins anciens et se nourrissait de fragments nouveaux, parmi lesquels des ébauches écrites pendant des séances de l’Atelier sous les toits. Le soir, des personnages s’invitaient dans mes rêveries, rechignant parfois contre ce que je venais de leur faire faire ou contre le prénom que je leur avais donné, formant petit à petit l’histoire à ma place. Je griffonnais quelques notes et le lendemain, j’essayais de traduire ces notes en écriture… essais parfois fructueux, pas toujours ! Parvenir à la forme aboutie de La danse du papillon m’a pris plus de six ans. Si je reviens sur ce travail d’écriture, je peux distinguer plusieurs aspects. D’abord, le travail de la phrase : portée à écrire de longues phrases pleines de digressions et d’incises dans tous les sens, j’ai dû énormément les retravailler. Pendant plusieurs années, j’écrivais chaque jour un ou deux paragraphes, ou seulement deux ou trois lignes, et je les raturais et les réécrivais indéfiniment les jours suivants en me disant que c’était nul, et moi avec. L’écriture de La danse du papillon m’a servi d’exercice d’écriture mais aussi, en étant aussi quotidiennement présente, m’a coupée d’autres formes, comme par exemple la forme poétique dont je me suis éloignée à regret. Ensuite le travail de la structure : comment organiser l’histoire, présenter les évènements, ménager un certain suspens. Longtemps, le récit n’avait aucune structure, probablement aussi parce que les grandes lignes de l’histoire n’étaient pas encore clairement définies. Puis, quelque chose a « pris » et la structure est apparue. Evidemment, je n’avais pas fait de frise chronologique et mes personnages apparaissaient n’importe quand, à rebrousse-temps : pourquoi pas, en théorie, un récit temporellement déstructuré, mais cela ne se prêtait pas à l’histoire que je voulais raconter. Je me suis donc emmêlé les pinceaux jusqu’à ce que ça tienne à peu près et que je déclare la structure achevée. Désireuse d’en finir, je n’ai pas écouté la petite voix intérieure qui tentait de me dire qu’en fait la structure était bancale. Cécile, à qui j’ai confié la relecture de la première version de ce récit dans le cadre de l’Atelier Face à Face, m’en a aussitôt fait la remarque. Il a fallu me remettre à la tâche, couper, tailler et retailler et m’apercevoir qu’avec la nouvelle combinaison, ça ne collait plus, des évènements se produisent dans le mauvais sens, des gens mouraient avant d’être nés etc…. Finalement, ça c’est fait, en quelques mois. La manuscrit terminé, j’en ai éprouvé à la fois de la joie et de la légèreté. Je n’avais pas l’idée que cet écrit puisse être publié. Je l’ai offert à mes proches en format A4 et c’est de mon entourage qu’est venu l’encouragement à chercher un éditeur… J’ai mis du temps à faire la démarche, je ne me sentais pas légitime et je me demandais ce qu’un bouquin de plus viendrait ajouter à des masses et des masses de livres publiés chaque semaine…. Nombreux ont été les refus implicites (pas de réponse sous 4 mois signifie un refus) et les refus par courrier, certains assortis de commentaires encourageants, jusqu’à ce que les éditions de l’Harmattan acceptent de le publier. Je continue à me demander si publier est une fin en soi : ce qui a compté le plus, c’est d’avoir écrit. Mais maintenant, je ne peux plus faire abstraction du fait que ce livre est publié et c’est vrai que savoir son texte lu par d’autres yeux, d’autres oreilles, par des âmes éloignées que l’on ne connaît pas, et parfois en recevoir un témoignage, c’est tellement fort ! D’une certaine façon, on en fait l’expérience à une autre échelle en atelier d’écriture ou dans le blog de l’Atelier : le partage de ce que l’on a écrit, le retour des lecteurs ou des auditeurs (selon la forme de l’atelier) est une expérience du risque, de la remise en question mais aussi du partage et de la joie. La danse du papillon se commande dans toutes les librairies, sur les sites de vente en ligne et sur le site des éditions de l’Harmattan : https://www.editions-harmattan.fr/livre-la_danse_du_papillon_aliette_zumthor_sallee-9782140294846-74491.html
Tout est parti d’un courrier de lecteur, découvert en septembre 2019 : un professeur de physique-chimie reconnaît, dans sa classe, le fils de son ancien harceleur, qui ressemble trait pour trait à son père. Il s’inquiète auprès de la psychologue de sa réaction possible envers cet élève : ne sera-t-il pas tenté de lui faire payer les persécutions du père, même inconsciemment ? La thérapeute lui répond, entre autres choses, qu’il y a là matière à écrire un roman ! Le samedi, à l’atelier Petits Papiers, chez Cécile et Philippe, je choisis d’écrire un texte inspiré de cette histoire, au gré des fameux « petits papiers ». Les retours plutôt positifs m’encouragent à peaufiner à la maison ma nouvelle Le Portrait de son père, que j’envoie à trois ou quatre revues. L’envie d’aller plus loin ne me quitte pas et je m’inscris à un atelier Premier Roman (en formation pro), pour transformer la nouvelle en roman. En avril 2020, la revue Brèves m’appelle pour m’informer qu’elle souhaite publier Le Portrait de son père dans son numéro 116 (collectif « Jeunesse »). Cela renforce encore ma motivation pour le roman, dont j’achève le premier jet en juin. Je poursuis la réécriture les mois suivants. En plus des retours obtenus en atelier, je fais « diagnostiquer » mon texte en janvier 2021 par un site professionnel, puis, après l’avoir remanié, je commence à envoyer mon manuscrit à des éditeurs en septembre 2021, assorti d’une lettre de présentation longuement travaillée, d’un synopsis, etc. Je continue mes envois jusqu’en mars 2022. Sur la quarantaine d’éditeurs contactés, j’obtiendrai six réponses, toutes négatives, mais parfois encourageantes (quand même !). Enfin, en avril 2022, un éditeur (IGB) me téléphone : il a aimé mon roman, mais attend d’avoir l’avis de son comité de lecture et de son associée pour me donner un accord définitif. La même semaine (!), les Editions Il est Midi me contactent à leur tour pour me proposer directement un contrat. C’est avec eux que je signe, en juin 2022. Mon roman, le Fils de l’autre, sort le 10 octobre. L’expérience a été intéressante, même si le livre n’est vendu que sur commande (en librairie, à la Fnac, chez Amazon et sur tous les sites marchands), donc peu visible. Par ailleurs, Il est Midi n’organise pas de dédicaces et ne participe pas à des salons. Enfin, je n’ai jamais rencontré mes éditeurs, nous n’avons échangé que par mail et au téléphone. J’ai donc réalisé moi-même mon dossier de presse et obtenu deux chroniques (sur Femina.fr et Télé-7-Jours) et deux interviews. Un club de lecture, à Pierrefonds, m’a également invitée à une journée de présentation, et je me suis inscrite à deux salons en 2023 (réponse en attente). L’aventure continue, sans bruit, mais c’est formateur… Encore merci à Cécile et Philippe, dont l’atelier Petits Papiers m’a permis de poser les jalons de mon projet. Je leur ai même volé une très jolie phrase, tirée au hasard des « petits papiers » et que j’ai gardée dans le roman, bien évidemment ! Monique Coant-Blond Pour en savoir plus sur le livre, n’hésitez pas à aller sur mes pages Facebook https://www.facebook.com/profile.php?id=100082078084319 et Instagram https://www.instagram.com/emsie_blond/?hl=fr ou, pourquoi pas, sur le site de l’éditeur https://editions-il-est-midi.eproshopping.fr/1740324-LE-FILS-DE-L-AUTRE-Monique-Coant-Blond
LIVRES AIMÉS
J’ai aimé l’atmosphère; j’ai souri ; j’ai admiré le style; j’ai râlé de frustration lorsque je découvrais les personnages petit à petit et non bien campés en début de livre ; j’ai frémi devant le suspens de l’histoire et des personnages; je me suis laissée bercer par l’ambivalence constante entre rêve et réalité; j’ai été touchée quand j’ai enfin compris les visites d’amitié et de souvenirs de ce groupe hétéroclite et j’ai même versé une larme en refermant le livre.
En passant dans le rayons BD (au RDC, pour les grands, pas au 3e chez les enfants) d’une médiathèque, je me suis arrêtée sur Profession du père, de Sébastien Gnaedig. C’est une adaptation du roman de Sorj Chalandon. Je vous le dis tout de suite : je n’ai pas lu la version sans images. Mais la version adaptée a renforcé l’envie de la découvrir, même si je peux m’attendre à une violence accrue. En noir et blanc, en quelques dessins, l’intensité est présente. La dérive d’une homme dans une période sombre de l’histoire de France. « Les événements » dans nos livres d’histoire, pour ne pas dire « la guerre » d’Algérie. Je ne sais pas ce qu’en pensent celles et ceux qui ont lu S. Chalandon. Cette adaptation est une introduction, une ouverture. Profession du père est publié aux éditions Futuropolis en 2018.
Le point de départ de l’auteure est que nous avons été, ou serons, toutes et tous un jour confrontés à la mort de notre mère. La narratrice, journaliste célibataire de 31 ans, décrit ce qui l’oppose à sa sœur, mariée, 2 enfants. Leur mère meurt brutalement. Assassinée. Le lecteur suit avec la narratrice l’enquête, les arrangements pour vider la maison, ce que deviennent les relations familiales et sociales lorsque l’on perd sa mère aussi dramatiquement. Des secrets vont au fil des pages transformer des vérités jusqu’ici bien établies. Il y a beaucoup d’humour dans ces pages. Et des rebondissements. Le récit m’a parlé, souvent. Mère disparue est paru en 2007, édité par les éditions Philippe Rey.
Trois livres en forme de trilogie de Deborah Levy, auteure sud-africaine vivant en Grande-Bretagne : Le goût de la vie, Ce que je ne veux pas savoir et Etat des lieux. Les ouvrages sont traduits par Céline Leroy. Une écriture très ancrée dans la vie, mais en même temps très subtile, où l’auteure à la fois s’interroge sur la présence du passé dans le présent, et très souvent décale notre regard sur des évènements très simples et quotidiens pour en dégager un aspect neuf. Elle y excelle lorsqu’elle questionne, sans verser dans la démonstration, les rapports de genre, son travail d’écrivaine, ses rêves non réalisés. Elle est souvent drôle, légère et toujours intéressante. Merci à la traduction excellente.
Le cercle des menteurs ou Contes Philosophiques du monde entier rapportés par Jean-Claude Carrière. Habituellement, le terme de « contes philosophiques » me donne envie de rebrousser chemin car c’est un genre dont le ton appuyé, l’intention de donner des leçons produit souvent des textes ennuyeux et « voulus » (ce n’est que mon avis !). Ici, c’est tout le contraire : histoires courtes, du conte à la blague, racontées avec le brio qu’a Jean-Claude Carrière pour s’exprimer. Si l’on connait sa voix, on a l’impression en lisant qu’il est présent et qu’il conte à haute voix. Le premier comme le deuxième tome sont des régals. (en photo le deuxième tome)
Un texte très court (78 pages) sur la maladie contractée à son travail par le père du narrateur. Ce que j’ai aimé dans cette écriture, c’est que sous l’apparente pauvreté émotionnelle du texte, l’auteur, en nous livrant la stricte description des faits et gestes des protagonistes, sans à aucun moment ne juger quiconque, nous laisse toute la place pour mobiliser notre propre émotion et penser par nous-mêmes.
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