ELLE

Publié le 26 novembre 2024 par Eliane

Cette nuit j’ai rêvé qu’un avion s’écrasait, tu te doutes bien que je n’étais pas dedans. J’ai quand même écouté les informations ce matin et non, rien, nada. Ce qui prouve bien que je ne suis pas voyante ! et franchement j’aime mieux ça, tu imagines si en me réveillant j’avais entendu « le Athènes Paris s’écrase dans les Alpes ». C’est sûr j’aurais flippé !

Bon Luna, tu as fini ? j’aimerais bien pouvoir prendre mon petit déjeuner en paix !

Je sais bien, j’ai tendance à m’emballer, à trop parler. Mes idées s’entrechoquent, s’embrouillent. Je n’y peux rien si j’agace les gens. Enfin pas tous les gens, pas tout le monde heureusement. Quand je suis avec le groupe de musique par exemple, il paraît que je leur donne la pêche quand il y en a un qui a le moral dans les chaussettes. Je ne sais pas s’ils disent ça pour me faire plaisir, enfin je ne crois pas, ils sont gentils avec moi, vraiment. Je suis choriste. On se produit un peu partout. Oh ce ne sont que des petites salles mais ça marche plutôt bien. Bien sûr ça ne me rapporte pas beaucoup d’argent, je ne peux pas trouver à me loger c’est pour ça que je suis encore chez ma mère à 28 ans.

Justement aujourd’hui c’est mon anniversaire, j’ai commandé un gâteau chez le boulanger. Comme je n’ai pas beaucoup de moyens j’ai choisi un flan. Il est bon en général. Et puis ce sera bien pratique pour y planter les bougies. J’y tiens beaucoup, vingt huit bougies à souffler. Yannick m’a dit qu’il ira le chercher après la répétition. Il a une voiture et il est vraiment chou. Je l’adore. Il n’habite pas dans notre ville, ça lui fait un sacré bout de chemin pour venir. Yannick c’est le chanteur du groupe.

Voilà, la répète est terminée, ça a été assez laborieux aujourd’hui. Perso je n’y étais pas vraiment, à cause de mon rêve peut-être ou de la présence de Yannick qui aujourd’hui, peut-être parce que c’est mon anniversaire, a été spécialement proche, il trouvait toujours une bonne raison de venir tout près de moi. Ça m’a chamboulée. J’ai retenu ma respiration quand il a mis sa main sur mon épaule, c’était, disons, spécial. Pour la première fois. D’habitude il ne fait pas spécialement attention à moi, du coup ça m’a fait bizarre. Ce gars aux cheveux longs que j’adore de loin, me faisait un peu peur, là. Je suis vraiment spéciale comme dit ma mère. Pour une fois qu’un garçon s’intéresse à moi ! et là il m‘a proposé de m’emmener chercher le flan avec lui, c’est normal hein ? c’est moi qui paye… mais quand même, il a un air qui me fait drôle. Ça m’arrive parfois quand les gens ont des attitudes qui me surprennent. En général on ne s’intéresse pas beaucoup à moi, c’est pour ça que je fais le pitre, je raconte des histoires qui sont des mensonges. Maman dit que je suis mythomane. Il parait que c’est à cause de ma maladie. J’ai eu du mal à apprendre à l’école, on m’a mis dans un centre spécialisé avec des filles et des garçons qui avaient aussi des difficultés. J’ai quand même appris à lire et à écrire mais les chiffres, ça, c’est trop compliqué. Je vous raconte pas comme j’avais du mal avec la monnaie. Heureusement avec la carte bancaire maintenant ça va tout seul.

Donc Yannick m ‘a emmenée avec lui. Il avait neigé pendant qu’on répétait. C’était tout blanc, immaculé, devant la porte de la salle. J’ai marché lentement en écrasant bien chaque pas. J’aime bien le bruit que fait la neige quand on marche. J’avais mis ma veste orange, j’aurais dû mettre mon manteau fourré comme avait proposé maman mais je préfère la veste. Elle a des broderies devant, c’est vraiment joli. Tant pis si j’avais un peu froid. Mais je ne devais pas trop traîner parce que Yannick me disait de me dépêcher, il avait déjà ouvert sa voiture et était monté dedans quand j’en étais encore à faire des traces de pas dans la neige. Puis le moteur a craché une sale odeur. J’ai ouvert la portière devant mais quand j’ai voulu m’assoir j’ai vu que le siège était plein de cochonneries, genre canettes vides, paquets de cigarettes et plein de papiers ; il y avait aussi un paquet ficelé.

Il m ‘a dit de monter derrière. Puis il a démarré et il a roulé doucement pour sortir du parking. Quand on est arrivé sur la route, il y avait plein de traces de roues qui faisaient la neige dégoutante. Puis on a roulé vers le village qui est à huit kilomètres, mais en arrivant au pont de Chevry il a arrêté la voiture.

Les gendarmes tentent de calmer la femme en pleurs, ils ont du mal à comprendre ce qu’elle essaye d’expliquer. Le capitaine Marchand va chercher un grand verre d’eau et lui tend.

Après quelques gorgées, elle s’essuie les yeux, se mouche et reprend.

Ma fille Luna n’est pas rentrée de la nuit. Elle a vingt huit ans mais un retard mental et je m’inquiète toujours de ce qui peut lui arriver, elle n’a jamais passé une nuit dehors sans moi. Vous voyez le temps qu’il fait, elle n’était pas très couverte, elle n’avait pas voulu mettre son manteau.
Attendez Madame, dites-nous tout d’abord ce qu’elle a fait hier, où était-elle ?
Elle avait une répétition avec un groupe de musique, dans la salle des fêtes de Sully. Vous pensez bien que c’est la première chose que j’ai fait ; J’en viens. Bien entendu la salle est vide. J’ai appelé Mathilde, c’est une copine de ma fille, c’est celle qui l’a entraînée à chanter. Elle a une jolie voix Luna. Enfin, Mathilde m’a dit que ma fille était partie avec le chanteur du groupe, un certain Yannick, pour aller chercher un gâteau d’anniversaire. Ils ne sont pas revenus mais personne ne s’est inquiété, il paraît que ce garçon est du genre Don Juan et qu’ils avaient bien remarqué comment Luna et lui s’étaient comportés dans après-midi.
Donc il est possible qu’elle soit en effet avec ce jeune homme ?
Elle ne m’aurait pas laissé sans nouvelle. J’ai essayé de l’appeler mais je tombe sur son répondeur.

Le capitaine Marchand a pris la tête des opérations. Partir de la salle des fêtes et prendre la route qui mène au village. Il n’aura pas fallu longtemps pour qu’un véhicule attire son attention, sur le chemin qui descend vers la rivière juste à droite du pont de Chevry. Les deux gendarmes se sont approchés de la voiture couverte de neige. A l’intérieur, sur la banquette arrière, une forme recroquevillée sous une petite couverture polaire. On n’apercevait que des cheveux bruns. Marchand a essayé d’ouvrir, mais la portière gelée a résisté. Par contre la portière avant côté conducteur s’est ouverte très facilement. Ils ont appelé :

oh ! mademoiselle, oh réveillez-vous.

Il a secoué doucement la forme recouverte. Un mouvement et la jeune femme a émergé, les cheveux en bataille et le visage bouffi de larmes versées. C’était bien Luna, la photo qu’avait donnée sa mère correspondait à part la longueur des cheveux.

Vous allez bien Mademoiselle ?

Elle semblait hébétée, a regardé le gendarme

Oui, ça va
Que vous est-il arrivé ? votre maman est très inquiète vous savez !
Oh oui, maman, il faut que je l’appelle !

Elle a commencé à chercher son téléphone, a commencé à s’énerver puis à s’affoler

Il faut que je prévienne maman, elle va s’inquiéter
Ne vous en faites pas, nous allons la prévenir. Venez avec nous, il fait très froid dans cette voiture.

Avec beaucoup d’efforts, le capitaine a réussi à ouvrir la portière arrière et a fait descendre la jeune fille. Elle n’a pas de veste, elle a gardé la couverture sur les épaules. Ils l’ont fait monter dans le fourgon de la gendarmerie et l’ont ramenée chez elle.

Luna n’a jamais dit à personne ce qui lui était arrivé ce soir-là, elle a refusé de se faire examiner. Elle faisait une crise de nerf dès que le sujet était abordé. Elle ne va plus chanter, elle ne fait pus le pitre, elle veut retrouver son téléphone. Alors elle va souvent vers le pont de Chevry, la neige a fondu, elle espère toujours le retrouver. Sa mère lui en a acheté un autre mais c’est comme une obsession ce maudit téléphone perdu.

Yannick ne s’est jamais montré depuis, lui aussi disparu. Mathilde l’a dit à Luna.