Être à sa place

Respire. Par le nez. Encore et encore. Nour doit à chaque fois se le rappeler. Il ne faut pas combattre la machine. Malgré de nombreuses fois où elle a plongé avec eux et la combinaison, elle doit passer par ce mantra à chaque fois. Son cerveau a toujours cet instant de panique. L’instinct de survie reprend le dessus quand l’eau commence à entourer son visage. Pendant une seconde aussi longue qu’une éternité son corps réagit à la noyade. Puis le rationnel revient. Elle se souvient que la combinaison la protège. Que malgré l’eau et la profondeur, elle ne risque rien. Nour inspire profondément et retourne au moment présent. Au milieu de l’océan. Au milieu de sa famille. Au milieu d’une bataille sans fin. Mais ce n’est pas le moment de penser à cela. Non c’est le moment de suivre les deux femmes de sa vie dans leur milieu naturel. Découvrir enfin la beauté des fonds marins. Elle a parcouru la ville mais pas encore au-delà. Nour sent la main de Denaya dans la sienne puis se retrouve tirée en avant sans ménagement. Elles sont alors suivies par le rire de Janaïs.

Nour se laisse entrainer et décide de laisser les soucis pour un autre jour. Elle se concentre sur la sensation de l’eau. Elle a presque l’impression de la sentir sur sa peau. De sentir sa froideur. De sentir sa densité. Nour étend sa conscience jusqu’à sa main qui tient celle de sa fille. Elle dirige son esprit sur la taille de leurs deux mains. Sur la façon dont elles s’emboitent. Elle essaye tant bien que mal d’oublier tous les curieux à leurs balcons. Elle essaye de ne pas se tendre pour ne pas gâcher le plaisir de Denaya. Mais comme toujours elle a l’impression d’être une bête de foire. La seule en combinaison. La seule humaine. Ses ruminations sont interrompues quand elle sent la main de Janaïs dans son dos. Ses lèvres bleues nuit s’étirent en un sourire doux et Nour voit la compréhension dans ses yeux indigos. Les pensées négatives s’évanouissent devant le visage de sa femme. Nour n’a pas besoin de faire partie des Neptuniens pour savoir que sa place est ici. Qu’elle ne veut être nulle part ailleurs.

Elles arrivent enfin à la limite de la ville. Encore un peu et elle se fondra dans le paysage comme si elle faisait partie de la flore. Il faut être à l’intérieur pour distinguer les contours des bâtiments et les véhicules qui circulent. Nour se demande toujours comment la flore marine et la flore terrestre peuvent être aussi différentes. Sur les quelques bancs de terre parsemant la planète, la végétation correspond à ce qu’on pourrait attendre de son halo bleu. Tout est en déclinaison de couleurs froides. Une atmosphère dans laquelle les Neptuniens, avec leur peau bleue, se fondent parfaitement. Pourtant une fois sous l’eau, toute la flore prend des teintes chaudes. Comme si on était en automne sur Terre. Même la ville prend ces teintes pour disparaitre dans le décor. Et au contraire de la surface, chaque habitant se détachent nettement.

Nour se détourne de la cité pour ne pas rater la suite. Denaya est partie devant et elle slalome entre les bancs de poissons multicolores. Janaïs entraine alors Nour vers le sol et celle-ci constate étonnée qu’il craque. Comme si il était gelé. Pourtant, il ne glisse pas découvre-t-elle après quelques pas. Elles marchent un moment à travers les coraux. Elles se tiennent la main et elles profitent du calme. Celui juste avant la tempête. Mais chaque chose en son temps, pense Nour. Maintenant, c’est celui d’être en famille et de rattraper le temps perdu. De se redécouvrir. De croire l’espace d’un après-midi que tout est normal. ET c’est ce qu’elle feront. Collecter des souvenirs. Rire ensemble. Découvrir la faune et la flore. Jusqu’à ce qu’il soit temps de remonter à la surface. Denaya est épuisée et le subtil changement de couleur de l’eau qui se pare de violet annonce la soir.

Elles se retrouvent sur la plage de sable violet. Nour appuie sur son poignet et la combinaison se range dans le bracelet. Elle chancelle un instant. Son corps a oublié son propre poids après autant de temps sous l’eau. Ses jambes sont lourdes et chaque pas est une lutte. Les deux autres ne semblent pas avoir le même soucis. Comme pour tout le reste, leur corps s’adapte naturellement à son environnement. Quant à Nour, il lui faut au moins une vingtaine de pas avant de remarcher correctement. Elle a l’impression d’être empotée en les suivant sur le chemin. La différence entre elles lui sautent à nouveau aux yeux. Nour sait que sa place est ici auprès de ses deux amours, mais ne méritent elles pas mieux ? Un poids sur ses épaules la tire de ses pensées. Gaïa vient de s’y poser et frotte sa tête contre la sienne. Cela faisait longtemps qu’elles n’avaient pas été séparées. Nour la rassure en passant ses mains dans sa fourrure blanche. Denaya remarque elle aussi l’arrivée du Volocat. Elle essaye alors de l’appeler pour qu’elle vienne jouer avec elle. Gaïa s’exécute après une dernier coup de tête. Elle vole au-dessus de la petite fille qui la poursuite pour l’attraper. Nour suit Janaïs à l’intérieur de la maison pour préparer le repas. Il est déjà tard donc après celui-ci, Nour emmène Denaya se coucher. Elle réclame quand même une histoire avec ses grands yeux violets plein d’innocence. Nour ne peut pas lui résister. Après une histoire rapide, elle borde la petite qui s’endort instantanément, fatiguée de sa journée. Nour reste sur le pas de la porte. Elle la regarde dormir. Son petit miracle. Janaïs la rejoint en l’entourant de ses bras et en posant son menton sur son épaule. Elles restent toutes les deux à regarder leur fille. Puis Janaïs entraine Nour dehors sous le porche. Elle lui tend une tasse fumante et s’installe. Nour sait qu’elle veut parler. Cela a toujours été leur signal. Elle sait aussi qu’elle n’est pas complètement prête alors elle n’initie rien. Elle observe la forêt qui semble encore plus irréelle sous la lumière de la lune. Au loin l’eau est encore plus luminescente et baigne toute la végétation. Comme si tout était fluorescent. Cette planète ne cesse jamais de la surprendre. Nour porte la tasse à ses lèvres et se laisse réconforter par l’odeur sucrée et la chaleur. Elle sent le regard de Janaïs sur son profil. Elle ne tourne pas la tête. Pas encore. Elle sait que si elle plonge dans ses yeux indigos elle lui livrera tous ses secrets. Et même si c’est ce qui va arriver, elle cherche à garder un peu de contrôle.

 » Je sais que tu essayes de retarder le moment mais il faut qu’on parle. »

La voix mélodieuse de Janaïs dénote dans le silence de la nuit. Un frisson parcourt Nour. Elle se décide enfin à regarder sa femme.

 » Je sais mais je ne suis pas sure de pouvoir répondre à toutes tes questions. « 

Janaïs repousse une mèche de cheveux de son visage et pose sa tasse. Elle prend la main de sa femme et détourne le regard. C’est à elle maintenant d’observer la forêt.

 » Je n’ai pas réellement de question. Si ce n’est de savoir comment tu vas. »

Nour serre la main qu’elle tien. C’est peut-être la plus difficile. Celle où la réponse n’a pas vraiment de sens. Elle prend une profonde inspiration et essaye néanmoins.

 » Je ne sais pas si j’ai vraiment une réponse. Je suis heureuse d’être ici avec vous deux. D’être à nouveau où je dois être. Mais je n’appartiens pas à ce monde. Je ne veux pas vous empêcher d’avoir la vie que vous méritez. Et cet après-midi était une jolie parenthèse mais on ne peut pas oublier ce qui se prépare. Ce que j’ai amené. Est-ce que je mérite vraiment de vous avoir si je vous ai mis en danger ? Si j’ai mis tout le monde en danger. Je ne sers à rien à part déranger votre vie. Et toutes ces questions tournent sans cesse dans ma tête. Je n’ai pas de solution. Je … »

Janaïs interrompt la tirade de Nour en déposant un baiser sur ses lèvres. Elle lui sourie mais ne dit rien. Nour a répondu à sa question mais il n’y a pas de solution pour l’instant à part essayer de profiter un peu plus longtemps du calme avant la tempête.

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