L’art de la fugue

Thomas, dix ans, a pris sa décision, lundi après le cours de maths il ne rentrera pas chez lui. Il mettra son projet à exécution et fera une fugue. Voilà plusieurs mois qu’il y pense et qu’il réfléchit à l’organisation de son départ. Il se dit qu’il ne partira pas longtemps et n’ira pas très loin pour ne pas inquiéter ses parents.

Il n’a pas d’expérience et demande à ses copains quelles sont les choses essentielles à emporter pour voyager seul…

Paul dit Bouboul lui dit d’emporter plusieurs gouters. C’est important la nourriture, et puis ne pas oublier l’eau c’est tout aussi important. Thomas note tout dans son petit carnet à couverture bleue.

Louis lui propose sa boussole, il ne sait pas s’en servir mais la prend quand même devant l’insistance de son copain.

Pierre lui conseille d’emporter sa tirelire au cas où il devrait acheter un billet de train. Thomas ne pense pas prendre le train. Non, il longera la rivière et s’arrêtera lorsqu’il trouvera un endroit plaisant.

Lors de la récré, Thomas continue d’interroger ses copains mais n’obtient pas de réponses satisfaisantes. Ils ne s’imaginent pas partir seuls à l’aventure, ils auraient trop peur.

Thomas se dit alors qu’il va interroger son cousin qui est scout et a une grande expérience des camps.  En même temps, Thomas hésite car même s’il admire son cousin, il doit admettre que celui-ci trop curieux lui posera des tas de questions et il pourrait bêtement lui révéler son projet de fugue … et là toute la famille serait au courant. Il est tellement bavard son cousin. Non, non, il doit se débrouiller tout seul.

Sur son carnet, il ajoute son doudou à la liste des choses à emporter. C’est vrai, il a dix ans et ne dort plus avec depuis longtemps mais il se dit qu’un peu de douceur et d’odeurs de la maison c’est rassurant.

Son duvet, il allait oublier son duvet ! Heureusement Bouboul lui a rappelé que les nuits sont fraîches. C’est à ce moment qu’il a vraiment réalisé qu’il allait dormir dehors, dans la nuit, tout seul. Tout seul il le savait, mais il est maintenant à J-1 de son départ et l’angoisse lui étreint le cœur. Il est trop tard pour reculer, il va préparer son sac et demain après le cours de maths il partira.

Avant de partir il écrira un petit mot pour ses parents, juste l’essentiel :

« Chers parents, j’ai maintenant dix ans et je vais faire une fugue. Ne vous inquiétez pas. Je rentrerai vite. »

Zut, il allait oublier sa montre !

A la fin du cours de maths, la sonnerie lui a paru plus stridente que d’habitude. Il a filé récupérer son sac et est parti en courant sans dire au revoir à ses copains et sans se retourner.

Il a couru très vite, a dépassé la dernière rangée de maisons et s’est engagé sur le chemin qui borde la rivière pour s’éloigner le plus loin possible.

Il a de la chance pour sa première fugue, il fait beau, pas de pluie et pas de vent. En fait il s’en fiche de la météo, il pense à ses parents. Comment vont-ils réagir lorsqu’ils rentreront du bureau et qu’ils trouveront son mot.

La nuit tombe vite, il est déjà dix-sept heures et la luminosité a déjà baissé. Assis au bord de l’eau, il récapitule son plan. Trouver un endroit pour dormir est sa priorité, ensuite il pourra manger son gouter.

Plongé dans ses pensées c’est à ce moment-là qu’il a aperçu la vieille maison cachée dans la végétation. Pour arriver jusqu’à la porte il a dû se faufiler à travers les ronces et passer par un trou du le grillage recouvert de lierre.

Les volets sont fermés mais la porte est ouverte. Elle a été forcée et est un peu déglinguée. Thomas est intrigué, l’inquiétude qui lui étreignait le cœur tout à l’heure a fait place à de la curiosité. Courageusement il frappe à la porte, appelle plusieurs fois, personne ne répond. Il va chercher dans son sac la lampe de poche qu’il a failli oublier. Heureusement il l’a ajoutée à son paquetage à la dernière minute C’est une longue torche qui permet d’éclairer loin. C’est son cousin scout qui la lui a offerte à Noël dernier.

Avec d’infinies précautions il pousse la porte et s’introduit dans la maison. A sa grande surprise il n’a pas besoin de sa lampe, le jour entre dans la maison par un énorme trou dans la toiture. La pluie a fait gonfler le plancher et tout est moisi à l’intérieur.

Il devrait faire demi-tour et rentrer, c’est encore temps, ainsi ses parents ne sauraient pas qu’il a fait une fugue. Il hésite mais la curiosité est la plus forte. Il va explorer le rez-de-chaussée. L’escalier qui monte à l’étage est à moitié écroulé et c’est trop dangereux.

Pourquoi cette maison est-elle abandonnée, qui habitait là ? Autant de questions sans réponses.

Il a un peu les chocotes lorsqu’il aperçoit dans une cage de fer un rat pris au piège de sa gourmandise et aussi sec que le hareng saur de Charles Cros.

Il n’ose plus bouger de peur de réveiller un fantôme. On dirait que les occupants de la maison ont pris la fuite. Sur la table les bols du petit-déjeuner sont encore là.

C’est à ce moment-là qu’il entend appeler son prénom plusieurs fois. Il attend, n’ose pas bouger. Il est effrayé et se met à trembler.

Ouf, rien de grave c’est son copain Bouboul qui l’a rejoint. Il s’est inquiété lorsqu’il a vu qu’il ne rentrait pas chez lui, alors il l’a suivi. Pour Thomas, c’est un énorme soulagement, il est bien content de ne plus être seul.

Allez, dit son ami, il faut rentrer avant les parents, on ne dira rien ce sera notre secret.

Le trajet du retour a été rapide, ils ont couru tout le long du chemin

En fait Thomas a fugué à un kilomètre de chez lui et sa fugue n’a duré qu’un peu plus d’une heure, mais quelle aventure, il s’en souviendra toute sa vie…

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