L’hirondelle ne fait pas le printemps. Pour moi c’est l’odeur de l’herbe coupée, c’est ma madeleine de Proust. Je suis passée cette semaine dans le parc à côté de chez moi et ils venaient de faire la première tonte. Quel bonheur de sentir cette odeur, synonyme de retour des beaux jours, de renouveau.
Après un hiver passé la tête dans le guidon, à rentrer chez soi alors qu’il fait nuit, il est temps de faire le ménage de printemps. Ce matin déjà j’ai commencé par vider et nettoyer tous les placards de la cuisine, lancer une machine de voilages poussiéreux. Ranger, laver, c’est faire place nette dans sa tête, repartir du bon pied, laisser derrière soi ce qu’on préférerait oublier. Vider ses armoires c’est vider sa mémoire.
Pourtant apparemment il ne faut pas tout oublier, ou en tout cas tenter de tout masquer. C’est ce que j’ai eu tendance à faire et résultat j’ai gardé en tête uniquement les souvenirs les plus douloureux. Alors à l’odeur de l’herbe fraichement coupée, j’essaie d’associer d’autres souvenirs. Je me revois ainsi préparant le gâteau du dimanche. Un gâteau marbré. Tout se joue quand il faut mettre la pâte à la vanille et la pâte au chocolat dans le moule pour espérer obtenir les plus belles zébrures.
Je nous revoies aller chercher les poulets de trois semaines pour les installer dans le terrain au fond du jardin. J’essayais de leur donner un prénom à chacun en fonction de l’année. On a ainsi eu Tintin, Toundra, Tarzan, etc. Je distinguais chacun par rapport à son plumage, son comportement, sa personnalité. Puis venait le temps de les tuer, mais c’était jour de fête. Mes grands-parents venaient à la maison pour l’occasion. Mon père et mon grand-père à la sale besogne, ma mère et ma grand-mère à la cuisine pour les vider, nettoyer pour ensuite les congeler. On mangeait dehors, sur une table disposée dans la pelouse.
Je me souviens des heures passées à jouer dans le jardin, avec le chien. On s’imaginait que c’était la guerre, qu’il fallait fuir. On enfourchait nos vélos rococos et, un fusil en bois en bandoulière, un bandana dans les cheveux, des shorts troués et les chaussettes bien relevées, on partait pour un exode imaginaire. Le plus compliqué était quand on avait décidé d’emporter les poupées dans leur poussette. On s’y croyait.
Une autre fois on avait joué jusque tard chez le voisin. J’avais fini par décider de rentrer. A mon arrivée, j’avais été surprise de n’entendre aucun bruit dans la maison. J’en avais profité pour allumer discrètement la télé et regarder Interville pendant que mon père dormait.
Le soir, pendant les vacances, je jouais même quand la nuit était tombée, à la lueur de la lune. C’était agréable de voir le monde presque trouble, de sentir parfois quelques souffles d’air faire frémir les feuilles des arbres. Une fois une chauvesouris s’est prise dans mes cheveux. Je suis vite rentrée me mettre à l’abri, je n’étais finalement pas si téméraire.
Les hirondelles étaient là elle aussi, elles remplissaient les fils électriques dans la rue. Une année l’une d’elle avait même installé son nid dans le garage, accroché à une poutre de l’ossature en bois. La chatte avait bien repéré les ballets incessants de la mère occupée à aller chercher des insectes pour nourrir ses petits. Alors elle se postait là, près de la porte du garage, à faire des mouvements de tête de gauche à droite comme on regarde la balle faire des va et vient dans un match de tennis. Parfois, elle tentait des accélérations, des sauts périlleux pour attraper l’oiseau, et retombait, bredouille.
Je n’avais pas idée du luxe qu’était de vivre ces instants, à l’époque ils me semblaient si naturels. La vie, la nature s’offraient à moi et j’en captais tous les mouvements. Ils s’imprégnaient en moi et me donnaient l’impression d’être Jane.
La cabane dans l’arbre était notre havre de paix, un monde dans le monde. On y avait installé un caisson en bois au-dessus d’un vieux barbecue rouillé. Le caisson avait une porte comme l’insert qui était dans le salon. On s’était laissé dépasser une fois par une tentative de feu de cheminée alors on n’y brulait plus rien, de peur de mettre le feu à l’arbre entier. Mon frère avait fait un plancher avec les lattes d’une palette. On pouvait se tenir debout dans l’arbre, s’asseoir sur un tronc au milieu, tenter même de s’allonger sur le sol sur une vieille peau de mouton.
Alors oui, quand je fais l’effort j’arrive à collecter des souvenirs heureux, mais ils me paraissent toujours appartenir à quelqu’un d’autre. Ils sont simples mais m’apparaissent lumineux. Ce sont des souvenirs d’enfant, de mondes imaginaires. Tous les enfants jouent, imaginent. Mais nous on avait poussé l’exercice à son paroxysme, recréé un univers, comme une sorte de métaverse. Certainement parce qu’avec notre regard d’enfant on avait bien compris que le vrai monde, la vraie vie n’était pas rose. Cette bulle nous protégeait et ce sont ces moments de pur bonheur qui m’ont permis d’affronter les événements qui allaient s’enchaîner par la suite. Des fils nous reliaient mon frère et moi et nous relient encore aujourd’hui. Ils m’ont rendu forte et me soutiennent encore. Il peut pleuvoir des grêlons sur mon toit de taule troué, je trouverai toujours de quoi rafistoler le toit et affronter le prochain orage. Ce matin j’ai vu le jour à la lueur du printemps. Consciente que la vie est un cycle fait de renouveaux. Après la pluie vient le beau temps.
On arrive à la fin de ce trimestre qui devait être une période faste d’après mon horoscope. Si je fais le bilan il y a effectivement du positif. Au boulot, j’ai su dire non et on m’a retiré une partie de ma charge de travail qui me pesait tant. J’ai enfin le temps de discuter avec mes collègues et j’ai pu me positionner sur des projets qui m’intéressaient davantage. J’ai commencé des recherches d’appartements pour me créer mon vrai chez moi, mon cocon. Je suis retournée au sport, j’ai repris mes cours d’histoire de l’Art, je me suis mise de manière régulière à l’écriture. Bref, je fais ce que j’aime et qui me fait du bien. Il n’y a qu’en amour que c’est le calme plat. Les histoires sont avortées, croquées puis abandonnées. Mais n’est-ce pas finalement ma volonté ?
Le dernier m’a dit qu’il préférait privilégier la qualité plutôt que la quantité. Voir la personne deux heures puis s’en aller. Je lui ai répondu qu’au contraire j’aimais prendre mon temps, profiter de chaque instant au point de pouvoir presque voir les minutes s’étirer.
A ceux qui diraient que mon point de vue n’est pas le bon, je réponds « si tu le dis ». Et c’est que les tentatives de me détourner sont nombreuses ! Même les agents immobiliers pensent savoir mieux que moi ce dont j’ai besoin ! A un appartement de 50 mètres carrés en étage élevé, je réponds « plutôt un 40 mètres carrés en rez-de-chaussée, idéalement un rez-de-jardin. Pourquoi ? Parce que j’ai besoin de vert ! ». Maintenant je sais dire ce que je veux et ce que je ne veux pas, c’est la première fois. Pour être bien, il faut un ancrage. Le seul qui soit à ma portée pour l’instant c’est la construction d’un chez moi. J’ai envie d’être pressée de rentrer, d’être soulagée d’y arriver, d’avoir envie de m’y lover. Je suis seule dans la ville, seule dans Paris, seule dans la vie. Alors oui j’ai certains critères.
Je n’ai pas envie d’être dans appartement neuf et froid au 12ème étage avec ascenseur. Avoir la place de mettre une cuisine avec un ilot central et un gros frigo américain, un canapé d’angle et un lit de deux mètres. Je préfère les petits espaces, les pièces moyennes, le parquet au sol, les couvertures et coussins bariolés jetés sur le canapé, une bibliothèque remplie de babioles récupérées chez Emmaüs. Je préfère aller faire mes courses à pieds avec un cadi que monter dans une voiture pour aller dans un centre commercial. J’aime le vieux, le pas branché, le has been. D’ailleurs même dire has been est has been. Donc non monsieur l’agent immobilier, vous ne me faites pas rêver quand vous me dites que la cuisine reste, je préfèrerais que les propriétaires repartent avec !
Moi j’ai envie d’une cuisine éclairée par une fenêtre qui donnerait sur des arbres, qu’on pourrait ouvrir pour que les chats aillent gambader dehors. J’ai envie d’un vaisselier par les vitres desquelles on verrait des assiettes de grand-mère. Est-ce que qu’on peut trouver ça à Paris et en proche banlieue ? Pour l’instant non, mais je patiente. Je ne suis pas pressée. J’ai toute la vie devant moi et je sais à quel point les lieux peuvent avoir une incidence sur le sentiment de bien-être.
Je ne pourrais pas comme certains vivre avec un sac à dos, aller de ville en ville, de canapés prêtés en chambres d’hôtels. Je me perdrais. J’ai eu cette sensation durant mes dernières vacances en Guadeloupe. Certains diraient que c’était le jetlag mais moi j’avais l’impression de planer, d’être ailleurs, de n’être ni ici, ni là-bas. En écoutant la chanson « le rêve du pécheur » de Laurent Voulzy dans une des pièces du Fort Napoléon, j’ai compris qu’il ne servait à rien de fuir sa réalité, car c’est d’où l’on vient qui fait ce que l’on est. L’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Elle verdit si l’on s’efforce de l’entretenir. Les goélands sont plus nombreux à Belle île en Mer qu’à Marie Galante. Ce n’est pas parce que la boîte aux lettres est vide aujourd’hui qu’elle ne contiendra pas bientôt une belle lettre. Le chant du coq que je haïssais tant quand il me réveillait enfant est maintenant la mélodie que je recherche. Ce qui était valable hier ne le sera plus demain. Alors moi j’attends à l’entrée du pont avant le grand sapin, et me dit que quelqu’un finira bien par m’aider à le traverser.
Lien vers « le rêve du pêcheur » de Laurent Voulzy : https://youtu.be/5kbA918bwS4?feature=shared