Partout le long des trottoirs ils s’étalent avec leur couleur pastel improbable. On a jeté des confettis en hommage à Gaspard. Lors de son procès il s’était fait remarquer avec ses cheveux multicolores et son petit sourire en coin. Comme tout le monde s’y attendait il avait pris une peine démesurément lourde. On se doutait bien que ça finirait par arriver. Il avait commencé par des critiques innocentes à table. Papa avait ouvert la fenêtre et monté le son de la télévision, puis il lui avait intimé de ne pas répéter des choses pareilles, surtout en public. Les murs ont… « Oui Papa, je sais ce qu’ils ont, les murs ».
On l’a appris par le journal. On n’a même pas reçu d’appel du centre de détention. Depuis, Maman m’envoie me coucher tôt et ensuite elle pleure dans le salon. Elle pense que je n’entends pas. Gaspard avait commencé à sécher les cours. Un jour il était rentré avec une mèche rose, le lendemain une jaune. Papa avait dit « Tu files un mauvais coton ». Et puis il s’était mis à sortir le soir en catimini, il cachait des bombes de peintures dans sa commode, sous les chaussettes. Moi je voulais le suivre mais il me répétait toujours qu’il préférait me savoir bien au chaud sous la couette plutôt que dans le tumulte et la ferveur des AG avec le bâton de parole à la main. Il avait commencé à gagner une petite notoriété grâce à ses graffitis et ses coups d’éclat en ville. Les parents l’avaient pris entre quatre yeux pour lui demander d’arrêter de se mettre en danger, de laisser tomber la politique. J’avais entendu derrière la porte du salon les imprécations, les remontrances, les protestations. Quand ses pas s’étaient rapprochés du couloir, j’avais filé dans ma chambre. Il était parti en claquant la porte et puis il n’était plus rentré. On ne l’avait revu qu’à la télé avec l’uniforme des détenus. Gaspard, il aimait les micros, les salles bouillonnantes, la provocation et défendre les autres. Il voulait toujours sauver tout le monde. Et puis il tenait à sa chevelure arc-en-ciel, même si s’était mal vu. Les gens l’avaient surnommé le garçon confetti à cause de ses cheveux. Alors pour lui rendre hommage ils lancent discrètement des confettis en priant pour ne pas tomber sur des policiers en civil.
Ce soir la voisine est venue porter à manger pour nous soutenir. Papa fume à la fenêtre et maman pleure sur le canapé. Elle bredouille à la voisine : « Ça fait deux semaines qu’il est mort et on ne l’apprend qu’aujourd’hui. Qu’est-ce qu’ils lui ont fait ? » Je serre mon oreiller contre mon cœur.