Le dernier printemps

Son vieux visage en dit long sur sa vie. Usé, il a toujours vécu rapidement, sans se poser, ni de passer du temps avec sa famille. Bien sûr, il aurait pu faire autrement mais il a fait passer sa carrière avant tout, dans l’optique d’acquérir, d’acquérir, d’acquérir. Mais à quoi bon acquérir sans en profiter ? Les années passent vite sans aucun retour en arrière possible. Le voilà maintenant malade, raide, fait comme un rat, prêt à rendre l’âme. Depuis sa chambre d’hôpital, il voit un arbre qui bourgeonne. La vie face à la mort. Il fait le bilan sur ses bourgeons à lui : que sont-ils devenus ? Il n’a plus de contact depuis des années. Ils ne sont même pas au courant que la maladie s’est emparée de son corps et que ce n’est plus qu’une question de jours maintenant, d’après le médecin. Voyant une photo de ses enfants encadrée sur son chevet, il se met à pleurer violemment pour la première fois de sa vie. Curieusement, il constate que le lâcher prise fait du bien, lui qui a toujours contrôlé la moindre seconde de sa vie. Cette fois, tout lui échappe. Surtout les larmes, qui coulent à flot. Il est inarrêtable. Il semble rongé par les regrets.

Aimer la vie. En profiter. Être satisfait de ce qu’on a accompli, de ce qu’on accompli. Il était… Il était…

Une musique qu’il connaît retentit au loin. Elle lui rappèle avec émotion une scène heureuse de son enfance. C’était pendant les vacances d’été près du Canal du midi, en famille. Ses parents aimaient faire tourner les vinyles. Pas de place pour l’inquiétude. Ce vieux son grésillant qui flottait dans les airs le transportait. Cet instant qu’il vivait chaque été dans cette grande maison bourgeoise était sublimé par des odeurs familières de confiture de fraise et de brioche grillée. Ces souvenirs lui amènent un peu de joie et de chaleur dans l’obscurité de cette chambre sans âme où il va finir ses jours.  Simplement, il ferme les yeux quand la maladie lui fait trop mal et se laisse partir dans ses souvenirs lointains. Les yeux ouverts, il prend le temps maintenant de se connecter à cet arbre qui bourgeonne devant lui. Il ne le quitte plus des yeux. Il lui rappelle ce doux passé de l’enfance, la sienne, celle de ses enfants. Il s’apaise, naturellement, en substitut des médicaments. Au passage de l’infirmière, il lui demande de lui apporter ses vêtements et le conduire dans le jardin, près de cet arbre là-bas, pour embrasser une dernière fois la vie avant de voyager dans l’au-delà.

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