Le Prince Gentil

Le Prince Gentil trainait ses bottes et son épée dans la neige douce. Depuis qu’il avait quitté le donjon, penaud, elle avait tristement floconné sur le chemin et les arbres, et elle avait couvert ses cheveux. Il ressemblait à un vieillard. Ou à un sandwich à la ricotta. Il soupira en pensant qu’il n’aurait plus l’occasion d’en manger à la trattoria royale. Hors de question de rentrer dans sa contrée couvert de honte. Il était parti en été au son des trompettes qui luisaient au soleil, vaillant, avec cape et cheval, promettant à son père d’accomplir ce que tout futur monarque se doit de réussir : une délivrance de princesse. Il avait galopé à travers bois et marrais, dormi à la belle étoile, bravé les bandits de grand chemin et les ampoules au pieds pour arriver au donjon. Sur le chemin il avait révisé toutes les questions que le dragon examinateur était susceptible de lui poser : capitales des royaumes du monde, géopolitique, astronomie, réactions acido-basiques, culture musicale et théâtrale. Il avait récité son histoire et ses tables de multiplications même en se brossant les dents alors que c’était tombé l’an dernier donc pas trop de risque, au point que le cheval commençait à montrer des signes d’agacement. Arrivé au donjon, il s’était présenté, avait remis sa convocation au préposé, un potimarron chatoyant qui parlait le mandarin. Il avait anxieusement patienté jusqu’à être conduit au dragon examinateur, dans un souterrain éclairé à la torche et face à un bassin de lave. Bon, ça, c’était du décorum, fallait pas se laisser impressionner. Il avait tiré on sujet au sort : de la logique. Aïe. Pas son point fort. Il n’avait pas su trouver la bonne réponse à : « vous souhaitez vous rendre à Paris. Vous arrivez à une bifurcation. Deux nains sont présents, l’un ment toujours, l’autre dit toujours la vérité. Vous ne savez pas qui ment et qui dit vrai. Quelle question posez-vous pour connaitre le chemin de Paris ? » Aucune idée. Il avait bredouillé une réponse malhabile au dragon examinateur qui avait répondu « vous avez échoué ».

Il était donc sorti sans princesse et maintenant il errait, honteux, sans son cheval qui l’avait largué. Ça existait la rupture conventionnelle de la monarchie ? Il aperçut une cheminée fumante plus loin, et un panneau annonçant « auberge et buvette ». Autant aller noyer son embarras.

Le Prince Gentil faisait tournoyer le glaçon au fond de son verre. Ce n’était pas un glaçon mais une stalactite fondue qui pendait du toit de l’auberge-buvette où il s’était échoué. Dans la monarchie, on dit qu’on est descendu dans une modeste mais charmante auberge, lui, il s’échouait au bar. A peine entré, la vieille tenancière s’était écriée « Ooooh toi, je sais s’qu’i’ t’faut ». il en était à son quatrième verre de ce qu’il lui fallait. Le comptoir était tarabiscoté, au moins autant que la vieille qui secouait le shaker avec une vivacité surprenante malgré son dos bossu. Dehors la neige recouvrait tout, les arbres, le chemin, le toit probablement. Heureusement, un bon feu ronronnait dans une niche en forme de quadrilatère quelconque – il savait nommer la forme, il avait bien révisé pour son examen de délivrance de princesse qu’il avait finalement raté. Dans un coin, trois bucherons tapaient le carton en poussant des beuglements à intervalles régulier. Le Prince Gentil commençait à tout trouver vacillant, absurde et drôle.

Une silhouette se profila à son côté.

« Une cervoise, Glenda, dit-elle d’une voix aigre et lasse

—Dure journée ? Demanda un Prince Gentil chancelant

—Hhhan m’en parle pas ! Huit heures à servir poule-au-pot fritte au drive-in équestre, ça vous dégoutte de l’humanité. Tout le monde se fout de l’exploitation équine. Et la pollution des eaux au crottin, j’en parle même pas… »

Elle avait les cheveux rouges, des lunettes doubles-foyers et une chasuble brodée de l’inscription « Nous sommes les sorcières que vous ne brûlez pas encore ».

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