Passage

Planté dans l’immense blancheur, l’arbre noir au tronc béant étend son ombre devant le soleil d’hiver. Les racines noueuses, telles des mains centenaires, déroulent leurs griffes menaçantes. Elle entend le cercle se former et se refermer autour d’elle, à pas feutrés. Le silence est tel qu’on entend la glace craquer sur le lac à des kilomètres de là.

La règle est stricte. Elle ne doit pas bouger tant que la nuit n’a pas entièrement dévoré le jour. A ce moment, elles allumeront des torches autour d’elle, ça sera le signal. Elle devra s’avancer, seule, progresser dans l’enchevêtrement de racines et réussir à atteindre le creux du tronc. Elle n’aura pas le droit de se retourner, de pleurer ou de demander de l’aide. Elle n’aura pas de torche, juste la lueur des flammes autour, et la lune, si elle ne se cache pas.

Un vent chargé de glace vient s’enrouler autour de sa nuque. Ses épaules tremblent. Des chants s’élèvent tandis qu’elle marche, droite et sérieuse. Les épines déchirent ses vêtements, se plantent dans le cuir tendre de ses chaussures. Du sang coule sur son visage griffé. Elle tombe plusieurs fois, sans un bruit, à peine un souffle. Si l’arbre t’accepte dans son ventre, s’il te laisse entrer, alors tu seras digne de ton nom, tu pourras porter nos couleurs et nos armes, chanter nos chansons et veiller sur tes sœurs. Tu ne seras plus jamais seule, tu connaîtras chaque plante, chaque arbre et il te suffira de regarder le sol ou le ciel pour savoir où tu es.

Cet arbre est un sanctuaire, il te verra naître et mourir. Au creux du tronc, il fait chaud. Elle reprend son souffle, s’autorise un soupir. Les chants s’amplifient, la lune éclaire la plaine comme en plein jour. Devant elle, les racines ressemblent maintenant à un tapis moelleux. Les torches illuminent des visages souriants. Elle a réussi, elle est une des leurs.

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