Nous regardons le sol de haut, 15cm environ. C’est plaisant, on domine. Et puis c’est plus propre.
-T’as vu : y a encore un mégot ici, et un papier gras collé sur un caillou là-bas. Les gens ne sont pas soigneux.
-Mais arrête de gigoter, tu me donnes le tournis.
-Je ne gigote pas, je danse.
-Alors donne le rythme ; qu’on fasse un pas-de-deux.
-Tu rigoles ? Tu vas encore me marcher sur dessus.
-Hey, en bas, vous arrêtez de vous disputer ?
-Elle ne comprend vraiment rien, elle. Difficile de rester sage et tranquille quand on pendouille à 15 cm du sol.
-Chut ! si tu regardes à droite, tu verras le chien du 24 qui lève la patte sur le banc.
-Oh, ça pue !
-Allez, virage à 180°, on regarde à gauche. Tu as vu le vieux sur l’autre banc ? Il dort tranquille.
-Viens, on va aller lui chatouiller le crâne.
-Faut demander à Alice.
-T’es pas drôle ! Parfois, je rêve qu’on part faire le tour du monde, libres et décidés.
Ce serait une riche expérience. Voir du nouveau, manger de l’inconnu, sentir le sable, les cailloux, l’herbe haute, fouler la lande, écraser les bruyères.
-Tu sais que tu es un rêveur idéaliste toi ? Et Alice ? Et puis, je suis sûr qu’on retrouverait le macadam qu’on connait, les cailloux qui nous fracassent, les odeurs de tous ces animaux mal élevés qui vivent sans abris et sans lois.
-Comment peux-tu être aussi conventionnel ? Il faut rêver, croire en une vie meilleure.
-Pfuhhh : tu dérailles, mon pauvre. C’est parce que tu es de gauche et moi de droite que tu dis cela.
-Tu mélanges tout, la politique, le rêve et la réalité, et surtout la simple anatomie.
Demande à Alice : je suis son pied gauche ; tu es son pied droit, c’est simple, non ? Alice est assise sur le banc et du haut de ses 3 ans, on ne touche pas terre, on pendouille, on s’ennuie et on s’embrouille.
-Oui, mais dans quelques années, elle aura grandi et on sera rivé au sol et elle décidera de tout.
-Misère ! Alice, quand est-ce que tu grandis ?