Je tombe sur le nez d’un enfant qui s’attarde devant une pâtisserie. Fasciné par les bonbons, il m’ignore. Je tente l’impossible, rejoindre mes sœurs sur le toit. Ploc, ploc, je rebondis en cadence, plic, plic, j’agace les oiseaux qui secouent leurs ailes. Je lorgne un petit nuage qui passe discrètement, c’est jusqu’à lui que j’aimerais remonter pour me glisser dans sa douceur cotonneuse. L’averse redouble, on se cogne, on s’écrase les unes sur les autres, « viens donc par là » me dit une gouttelette irisée et nous voilà happées par un rayon de soleil. Je m’attarde sur une branche que le vent bouscule un peu et j’observe les humains. Ceux qui disparaissent sous un parapluie, ceux qui jouent dans les flaques, ceux qui pestent en secouant la tête, ceux qui dégoulinent en riant.
« Qu’est-ce que tu fais ? » me demande une grosse goutte en me regardant de haut. « Oh rien, je flâne, je me repose ». « Tu n’es pas là pour ça » hurle-t-elle sur un ton menaçant.
Chez nous pas de masculin, mais les vieilles matrones, celles qui descendent des gros nuages noirs, celles – là les remplacent allègrement. Chez nous aussi hélas il y a une hiérarchie, alors parfois les plus jeunes se révoltent, et tombent en zigzag, en biais en rafale incontrôlable et la tempête s’en amuse. Mais aujourd’hui pas de violence, on glisse avec dextérité sur les fenêtres à peine éclairées, le long des panneaux publicitaires, en halo autour des lampadaires.
Je suis une petite goutte d’eau à l’existence éphémère, caressant vos joues, arrosant un pissenlit assoiffé, coincé sur un trottoir. Je suis juste douce et fraîche, invisible au cœur de la pluie. Je n’ai pas de grandes ambitions, je ne casse pas les vitres, je ne fais pas déborder les rivières. Paisiblement, je vais tomber dans ton cou, jolie passante à la robe trop légère et d’un geste de là, tu m’effaceras sans y prêter attention. Je le sais, ma chute inéluctable aura juste créé un peu d’humidité.