Celui qui boit trop,
c’est l’abonné du bistrot,
celui qu’on appelle alcoolo,
et qu’on vire à coup de pied au bas du dos.
Maurice a souvent entendu ces railleries depuis le trottoir du café du Chat Bleu. Pourtant, il marche de l’autre côté, et longe l’atelier de poterie, où il occupe désormais ses mains torturées.
Maurice, c’était un bon gars, toujours souriant les jours de match. Il tenait la buvette du club local. Il était réglo. Le jeunot réclamait une bière, il disait non. « Je ne sers pas les visages boutonneux, ni ceux qui n’ont pas commencé à être abîmés par le temps ni les soucis. »
Il demandait même la licence, ou la pièce d’identité pour s’assurer qu’il ne donnait pas de Mort Subite à un gosse.
Il était comme ça, Maurice, et le président l’aimait bien.
Josiane, sa femme, savait que les jours de match, elle serait seule toute la journée. Elle en profitait pour aller au ciné avec des copines l’après-midi, et courir avec les copains de l’association le matin. Après l’entraînement, on prenait un petit café, ou une bière. certains disaient que les bulles, ça évite les courbatures.
Avec le temps, Maurice a voulu redonner une seconde jeunesse à a buvette. Il a mis de la musique et s’est lancé dans es concours ; une bière gratuite à celui qui jetterait le plus loin son noyau de cerise. Ça a marché du tonnerre. Il a demandé à Josiane de l’aider, mais elle a refusé. Alors il a sollicité son pote Gérard, un type qui se foutait de l’âge des consommateurs. Son truc, c’était de faire du chiffre en amusant la compagnie.
A côté de la buvette et des noyaux de cerises, Gégé a créé un espace pour jouer : frisbee, boules de pétanque à louer. Cela faisait des sous en plus dans la caisse. Et le président était super content de son duo. Le club pouvait se payer de la pub, le public affluait. Même 100 personnes pour voir les gamins, c’était énorme. Au début, il n’y avait que des parents et les copains dans les tribunes.
Et puis l’accident est arrivé. Matthieu, le capitaine des moins de 19 ans, est venu chercher des bières. Il avait l’âge, rien à dire.
Des témoins racontent avoir aperçu un grand gars tituber en montant dans sa bagnole. Il a démarré, est parti brusquement en marche arrière, et renversé le petit Tony.
La police a interrogé Gérard et Maurice. Le premier a raconté qu’il n’avait rien vu, qu’il ne savait pas que les gamins avaient amené des alcools forts.
Maurice, lui, était effondré ; il avait vendu les bières, il se sentait responsable. Le président a viré Maurice, qui est allé se consoler au Chat Bleu.
Il en est devenu un pilier, parfois trop bruyant.
Josiane n’en pouvait plus. Son mari n’était que l’ombre de lui-même ; le visage bouffi, le regard vide et la démarche hésitante.
– C’est la bouteille ou moi, lui a-t-elle balancé un matin. J’ai pris rendez-vous chez un addictologue. On ira tous les deux. Je resterai dans la salle d’attente, sauf si le médecin veut me parler, ou si tu as des choses à me dire.