La béquille 1

Gabin est un peu rêveur. Il regarde le match sans vraiment s’y intéresser. Il pose sa bière sur le sous-bock, se penche pour fixer l’écran. Le ballon de foot prend une toute autre allure soudainement. Les joueurs sont-ils en train de shooter sur la lune ?
Gabin reprend sa bouteille, avale une longue gorgée, cligne un peu des yeux. L’arbitre sort un carton. Expulsion immédiate.
Gabin croque dans une crêpe à la compote de pommes, histoire d’éponger un peu l’alcool.
Pendant les pourparlers houleux, son regard se pose sur ses murs. Que c’est moche, il avait voulu faire preuve de créativité, s’éloigner du blanc « hôpital », il avait opté pour du jaune d’œuf. C’était laid, mais laid.
Il reprend une gorgée de bière. Le match ne reprend pas. Les supporters sont descendus sur le terrain, ça court, ça saute, ça essaie d’attraper le ballon, ça checke les joueurs. L’arbitre siffle un nombre de fautes incalculables, personne ne l’écoute. Tout le monde s’enflamme. Ça s’arrête sur un score nul, un match sans intérêt, sans action, sans attaque, donc sans défense. Heureusement qu’ils ont fait la fête sur le terrain.
Personne n’a gagné, personne n’a perdu. Aucune médaille, aucune coupe pour cette drôle de finale.
Gabin termine sa bière. Il se demande ce qu’il va faire après. Il s’ennuie. Tous les jours, tous les soirs, c’est la même rengaine. Le temps se répète. Il essaie chaque fois de tenter quelque chose de nouveau. Mais sa main ouvre le frigo machinalement, attrape une bière fraîche, puis une autre, encore une autre.
Il se demande parfois comment son frigo se remplit de toutes ces bières qu’il s’enfile. Il devrait arrêter la mousse. Il se le promet chaque matin, à chaque réveil, quand il a un mal de crâne tellement fort qu’il a l’impression d’avoir reçu un frisbee sur la tête.
Sur la table basse, l’assiette où se trouvaient les crêpes est désormais vide. Seule reste une tache ronde, rouge de confiture de cerises échappée, écrasée.
Gabin fixe ce point rouge. Il voudrait s’échapper lui aussi. Arrêter de boire. Il ne sait même plus ce qu’il veut oublier. Ça l’empêche même de rêver.
Il s’ennuie. Il est triste. Sa vie défile sans lui. Pourquoi s’ennuie-t-il ? Pourquoi est-il triste ? Y a-t-il une véritable raison à tout cela ? Quand cette descente a-t-elle commencé ?
Gabin reprend une bière. Trop de questions fusent dans sa tête. Il n’a toujours aucune réponse à leur apporter.
Il change de chaîne, une pub, puis une pub. Rien à voir à la télé. Il prend le livre qu’il a commencé il y a tellement longtemps. Il l’ouvre, lit une ligne, deux lignes. Tout est flou, il ne comprend plus rien. Ni à l’histoire, ni à sa vie. Il reprend une gorgée de sa bière tiédie.
Demain, il se le jure, demain, il arrête de boire.

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2 réponses à La béquille 1

  1. Emmanuelle P dit :

    A la relecture, des « jeux de mots » : la descente c’est à la fois la perte des pédales et le fait de boire. Avoir une bonne descente ne concerne pas uniquement les stations de ski. Joli portrait d’un homme spectateur. Ce premier texte est la part d’ombre. Le second hisse vers la lumière. Je suis toujours épatée de cette facilité à écrire, cette fluidité.

    • Marija D dit :

      Merci Emmanuelle pour ton retour sur la « descente ». Je remarque que les supporters aussi descendent sur le terrain après avoir lu ton commentaire.
      Et heureusement que nous avons eu la possibilité d’écrire un second texte pour que l’histoire puisse bien finir.

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