Le parterre d’asters

Elle s’était assise au sol devant le parterre d’asters. Depuis combien de temps, elle n’en a aucune idée. Assez pour qu’elle sente l’humidité du sol dans ses jambes. Assez pour que la luminosité est changée. Assez pour que son corp soit ankylosé. Elle a toujours aimé ce parterre depuis qu’elles l’avaient planté ensemble. Elle n’était encore qu’une enfant passant ses vacances dans la maison de famille. Et depuis elle y revient toujours quand elle avait besoin de réfléchir ou de s’apaiser. Elle entrait sans la maison, déposait un baiser sur sa joue puis allait admirer les asters. Un jour, un banc était apparu juste en face. Une attention qu’elle avait trouvée touchante et pourtant elle ne s’y assoit jamais. Elle a autant des asters que de l’herbe sous elle. Observer les couleurs éclatantes. Caresser les brins. Laisser ses pensées se réorganiser. Même cinq minutes lui permet de mettre de l’ordre, de débloquer un problème, de passer à autre chose. Mais si elle restait plus longtemps toujours une tasse fumante apparaissait à côté d’elle, un plais était déposé sur ses épaules et un baisser dans ses cheveux. Aucun mot échangé, juste une compréhension silencieuse et bienveillante. Puis elle regagnait la maison et restait pour partager un repas avant de repartir. Ce rituel n’appartenait qu’à elles. C’était leur parterre. Et aujourd’hui, elle reste assise avec cet espoir impossible de sentir ce baiser dans ses cheveux. Elle sait qu’il ne viendra pas mais elle ne peut pas se résoudre à se lever pour affronter cette vérité. Elle sait qu’elle le doit. Que le froid va la pousser vers la maison. Pourtant, elle n’arrive toujours pas à imaginer vivre dans un monde où personne ne vient la chercher aux asters. Où la cuisine n’est pas rempli d’odeur et de nourriture. Où visiter le jardin n’est pas une obligation de chaque visite. Où choisir avec quoi repartir n’est pas un rituel. Elle lance un dernier regard aux asters puis se lève. C’est à elle maintenant de veiller sur eux. Elle tourne plusieurs fois la clé entre ses doigts avant de se planter devant la porte. Elle ne sait pas si elle peut vraiment habiter ici sans voir des fantômes à chaque coin mais elle peut encore moins imaginer vendre cette maison et tous ses souvenirs. La porte grince légèrement comme à son habitude. Chaque meuble, chaque bibelot est à sa place et pourtant tout semble différent. Plus froid, plus terne. Elle fait un pas dans l’entrée et prend une profonde inspiration. Un léger parfum flotte toujours au milieu de la poussière. Un appel monte presque à ses lèvres avant qu’elle se souvienne que personne ne répondra. Elle tourne les talons et ressort. Elle n’est pas prête encore à affronter le vde de la maison. Elle reviendra demain et essaiera à nouveau.

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