Quand la ville dort encore et digère ses excès de la veille, Natacha aime se lever alors qu’il fait encore nuit noire. Parfois, comme ce matin, un croissant de lune éclaire les toits avant de finir sa traversée nocturne et de disparaître aux premières lueurs du jour. Natacha, mi- endormie, mi- éveillée se prépare un café bien noir sans sucre qui lui donne un coup de fouet nécessaire pour enfiler une tenue bien chaude et partir après avoir claqué délicatement la porte de chez elle. Elle descend l’escalier silencieux à cette heure matinale. L’ambiance joyeuse et bruyante des dernières heures s’est apaisée pour laisser place au repos dominical.
Ses pas résonnent sur la chaussée. Au bout de la rue, la Seine charrie une eau boueuse et agitée des pluies de ces derniers jours. Natacha rejoint les berges encore mouillées. Les pieds dans l’eau, elle respire à plein poumons l’air frais de premiers matins d’automne. Elle a lu quelque part, dans un roman de gare lui semble-t-il, l’expression « les matins ne sont pas magiques ». Elle se demande quel auteur dénué d’émotion a pu avoir une telle pensée. Pour elle, c’est le contraire. Depuis toujours, elle aime voir apparaitre la lumière du jour, traverser la ville, sans croiser personne. Elle ressent comme un don de la vie de pouvoir écouter le silence des rues interrompu au loin par le bruit étouffé d’une voiture ou de pas secs sur le trottoir d’une rue voisine. La mélancolie mêlée d’un plaisir inouï qu’elle sent monter en elle l’étonne toujours. Mélancolie du temps qui passe, plaisir de ce moment solitaire voulu. Elle marche mélangeant la sensation du présent, l’odeur de la ville, de l’humidité de la Seine ou d’une poubelle malodorante aux souvenirs des senteurs bien plus douces des fruits de fin d’été et de l’automne. La mirabelle sucrée et juteuse, la figue aux saveurs contrastées de la pulpe et de la peau et aux mille pépins qui se coincent entre les dents. La confiture de coings qu‘elle préparait avec sa grand-mère dans les montagnes. C’est là-bas qu’elle a découvert combien ces marches matinales étaient essentielles à son équilibre. Là-bas le brouillard de l’aube étouffait ses pas et les sons de la campagne avant de céder la place au soleil qui de ses premiers rayons faisait flamboyer les feuillages colorés aux teintes d’automne. Les ombres matinales dessinaient sur les champs des lignes croisées qui tels des origamis, tracées des formes évocatrices sur les près et les montagnes. Ces matins magiques, elle ne les manquerait pour rien au monde. Ils sont sa force, sa joie, son jardin secret.