– Elle allait devoir mener l’enquête autour de cette histoire de gnou disparu. Dites donc, Carole, il ne manque pas une lettre ? Ne dit-on pas « genou » ?
– Je regrette de vous contredire, Monsieur, mais le nom « gnou » fait partie de la langue française. Cela un désigne un quadrupède, que l’on voit en Afrique.
– Au temps pour moi ! Bon, vous en pensez quoi ?
– De ?
– Cette première phrase, voyons ! Vous avez remarqué la pile dans le coin ? C’est toute la production littéraire de la rentrée ! Toute… Non, seulement ceux qui ont réussi à passer la première barrière du résumé, pour notre maison d’édition. Je demande un résumé de 10 lignes du manuscrit. Si notre comité de lecteurs approuve, alors on peut envoyer le texte complet. Mais c’est comme une bande-annonce au cinéma. Le résumé est peut-être la quintessence, loin de la bouillie servie dans les pages. Pour m’éviter l’overdose en lignes, j’opère une deuxième sélection. Sur la première phrase. Ça, le comité l’ignore. Ce sera notre petit secret à tous les 2, Carole… Alors, ce gnou, il vous inspire ?
– Vous me prenez au dépourvu. Un chef-d’œuvre se cache peut-être dès la 2e ligne !
– Soit. Allez, je le mets de côté. Au suivant ! Saperlipopette ! s’exclama le commissaire chargé de l’enquête. Vous ne sentez rien ?
– Non… Mon parfum a tourné ?
– Mais non, Carole ! Votre sillage est des plus agréables. Ça sent le vieux ! Ou le recyclé. Qui dit encore « Saperlipopette » ? La dernière fois que je l’ai lu, c’était dans Tintin. Allez, poubelle ! Next ! Tiens… Lisez, cela me reposera la voix.
– Traverser la vie avec le même avatar, ce n’était pas son genre.
– Pas mal ! C’est puissant ! Et dans la même phrase, il y a de quoi capter un large public : les amateurs de voile, les fous de James Cameron et de jeux vidéos, et enfin tous ceux qui n’ont pas peur du mot « genre ». Prenez au hasard une autre phrase du manuscrit…
– Son avatar apparaît à l’écran, puis le traverse.
– J’a-do-re ! Celui-là, il va direct sur mon bureau ! Suivant ! Allez-y, lisez !
– C’était une traversée comme les autres ; l’atterrissage matinal.
– Non !!! Je ne veux plus qu’on me parle d’avion. Je vous ai raconté les turbulences entre Istanbul et Le Caire ? J’ai eu la peur de ma vie !
– Mais… Monsieur… c’est peut-être métaphorique. Un atterrissage, c’est une fin de nuit, ou une prise de conscience, pas seulement le difficile retour au sol d’un bimoteur piloté par un mec bourré.
– Je ne vous écouterai pas, Carole ! Voilà… je suis de mauvaise humeur ! Ils ne savaient pas, au comité, que cette année je ne publierais rien qui ait rapport avec les avions et tout ce qui vole ?
– Mais… Monsieur… dans « Avatar », le film, les personnages bleus de 3m de haut, ils volent, non ?
– Carole… C’était du cinéma ! Vous savez ce que c’est, le cinéma ? 24 images par secondes, etc. Ça vous revient ?
– On… on peut lire la dernière première phrase avant votre prochaine réunion ?
– Allez-y ! Y’a pas d’avion, j’espère !
– Non, non, je vous le promets. Elle s’était assise au sol, devant le parterre d’asters.
– Astaire ? C’est une gonzesse qui est devant la tombe de Fred Astaire ? C’est glauque.
– Non, Monsieur. Des asters, ce sont des plantes.








