On ne se méfie jamais assez des silhouettes qui surgissent au détour d’un sentier

Elle : « J’aime bien me balader en forêt. Aujourd’hui, j’ai choisi le Bois de Vincennes. »

Ce sont les premiers mots qu’elle réussit à prononcer, d’une cohérence discutable, après avoir retrouvé connaissance. Ses souvenirs étaient si flous. Il lui fallait beaucoup de concentration pour se rappeler pourquoi elle en était là. Bien sûr qu’elle voulait trouver des réponses. Mais ce n’était pas si simple. Elle ferma les yeux et après un long silence qu’on lui accorda _pour une fois_, elle se souvint.

Il marchait vers elle, sa longue silhouette surgit au détour d’un sentier. Elle le trouva charmant tout de suite. C’est même elle qui l’aborda en premier.

Elle : »Excusez-moi de vous importuner en pleine balade, mais savez-vous pourquoi les canards nagent-ils en file indienne derrière leur mère ? »

Elle avait été encore plus séduite par sa réponse.

Lui : »Vous ne me dérangez pas du tout, bien au contraire, je cherchais de la compagnie. Vous tombez à pic. Maintenant, je vais vous dire pourquoi les canards nagent en file indienne derrière leur mère. Il était une fois, cinq canetons blottis les uns contre les autres… »

Sa voix était d’une douceur infinie qui l’apaisait. Elle se sentait légère, si légère qu’elle se laissait aller à lui, bercée par ses paroles. Sans s’en rendre compte, plus il parlait, plus elle s’avançait. Se croyant confiante, elle ferma les yeux.

Des gouttes de pluie la réveillèrent. Elle était allongée sur un matelas de feuilles mortes, à moitié dévêtue, pieds nus. Elle avait froid. Sa tête lui faisait terriblement mal et son corps était recouvert d’ecchymoses. Que s’était-il passé entre le début de réponse et ce réveil atroce ?

Voilà les premiers souvenirs qui lui revenaient, avant que des saignements du nez l’interrompent à nouveau. Elle était épuisée, son corps lâchait. Elle demanda un mouchoir et un verre d’eau qu’on lui jeta sur la table en métal gris derrière laquelle elle se tenait assise, derrière laquelle deux hommes se tenaient debout, derrière lesquels une porte blindée. Au cas où.

« Souvenez-vous, il y avait bien quelqu’un avec vous dans les bois ? Répondez !« , s’impatientait l’homme en face d’elle, le poing sur la table.

La lueur de la lampe devant elle dégageait une chaleur atroce dans cette petite salle du commissariat de quartier, pourtant pas franchement chaleureux.

Elle, confuse : « Je ne sais pas… Je ne sais plus… Je me rappelle… Je me rappelle du vent, des feuilles qui tombaient, d’une histoire de canard ou de héron et… on aurait aimé se perdre... », avant de s’évanouir pour la deuxième fois.

Quant à cet homme qu’elle avait croisé dans les bois, il s’était évanoui d’une autre manière, dans la nature, sans laisser de trace, sans laisser d’adresse. Bien sûr qu’il avait peur, mais c’était bien là, entre les arbres, qu’il planterait sa tante.

 

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Une réponse à On ne se méfie jamais assez des silhouettes qui surgissent au détour d’un sentier

  1. Emmanuelle P dit :

    Merci Camille de partager ce texte dont la suite est vivement attendue. Excellent souvenir d’une balade écriture, avec des écrits profondément riches.

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