Tu vois, j’ai la tête fracassée

Tu vois, j’ai la tête fracassée. Hier, j’ai beaucoup trop bu. Je voulais oublier. Oublier toute cette pression que je subis. Au boulot, je n’ai pas d’espace. Je suis à touche-touche avec mon voisin. Je ne peux pas le saquer. Je sens sa présence, sa chaleur, quelque chose de lui qui m’insupporte. Ce boulot, le problème, c’est que j’en ai besoin. C’est rude, en ce moment. Vraiment rude. J’ai acheté un casque de silence. Pour m’isoler. Mais c’est dans ma peau. Je le ressens ce type.

Je ne suis pas à l’aise. Hier soir, en sortant du bureau, j’ai pris le dingue. Je marchais le long du périph’, tu sais, sur le boulevard qui longe. Il y avait un vacarme effrayant. J’ai vu la lune qui se reflétait dans une grande flaque d’eau. J’ai sauté dedans, ça éclaboussait partout et j’ai hurlé, hurlé, hurlé. Plus fort que les sirènes des ambulances qui tentaient de se frayer un passage dans les bagnoles agglutinées les unes aux autres, plus fort que le battement de mon pouls qui fracassait ma tête, plus fort que l’idée de lui, insupportable, plus supportable. Je me suis aperçu que les passants me contournaient avec un regard plus apitoyé qu’effrayé. Je n’avais pas l’air d’un vieux fou. Mais non, parce que, voyez-vous, j’étais bien habillé avec mon petit manteau de laine gris anthracite, mes bottines à lacets et mon écharpe à rayures en cachemire. Un jeune fou plutôt. Un jeune loup devenant fou. Un jeune roux devenant tout. A la fois supra conscient et totalement intolérant, instable et irritable, bientôt dangereux, je le sentais. Bientôt dangereux, oui. Alors j’ai pensé à l’alcool. Une bonne biture pour changer d’air, laisser le calme revenir, convoquer le mot projet, le mot solution. Mais c’est le mot évasion qui s’est immiscé de je ne sais pas où jusqu’à mon cerveau. Alors j’ai fait marche arrière, j’ai pas attendu l’ascenseur, j’ai donné un coup de latte dans la porte de l’escalier et j’ai monté quatre à quatre les marches jusqu’au 6eme étage. Et là, au coin du couloir, j’ai senti qu’il était… J’avais raison. Il était devant mon ordi, sur mon fauteuil, à MA place. J’ai bondi, je lui ai agrippé le cou et j’ai serré, serré, serré. J’étais passé sur une autre rive.

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