12. Musique dans la tête

Où sont mes lunettes ? J’en ai marre de ne rien y voir. Où est le disque des Rita Mitsouko ? Où est Marcia Baila ? J’en ai marre de tout paumer. J’en ai marre de mon toubib. J’en ai marre de mon infirmière. J’en ai marre de m’appeler Marcel. Au fait, c’est la St Marcel. C’est tout ce dont je me souviens : aujourd’hui lundi 16 janvier, c’est la St Marcel. C’était marqué dans l’agenda. Ah c’est sûr elle va être géniale la St Marcel : la liaison SFR est en panne alors bye bye le téléphone, au revoir le mail et j’ai paumé mon portable. Bonne fête Marcel ! Ah ça pour être ma fête ça va être ma fête. Ah elle est belle la St Marcel ! À la St Marcel tout étincelle ! À condition d’avoir ses lunettes ! Mais où sont-elles passées ? Si c’est pas malheureux d’avoir à chercher ses lunettes à tâtons dans le capharnaüm de cette maison. Où  sont mes lunettes? Aïe ! Ça glisse ! Là c’est le genou qui en a pris un coup. Il ne manquait plus que ça. A-t-on idée d’avoir choisi un sol en marbre ? Le marbre c’est froid c’est moche et ça glisse. Moi qui rêvais d’une cabane au fond des bois, j’ai mal au genou. Où sont mes lunettes ? Je donnerais un empire contre le retour de ma jeunesse, de ma mémoire. Adieu les préconisations médicales de ce toubib même pas foutu de me sortir de là. Mais où sont mes lunettes ? Au secours ! Où sont mes lunettes ? C’est quoi ce film ? Tu parles d’un film ! Il me tarde de lire le scénario poétique concocté par Justine, l’infirmière. Uriner dans le flacon lorsque Mr Grabuchon passera à la maison. Et rond petit patapon. Encore un de ces contrôles judiciaires à la noix. Comme si j’avais le coeur à me doper en ce moment. J’ai vraiment pas besoin de ça aujourd’hui. On pourrait même dire que je suis tombé dedans quand j’étais petit. Il va être bien reçu le père Grabuchon. Où sont mes lunettes ? J’aurais bien aimer en rire mais… mais… Oh ! Je les sens, mais oui ce sont elles, mes lunettes ! Ah oui mais non, elles sont tombées dans le seau d’argile fraîche de Justine, l’infirmière choisie par mon cher toubib. Encore une de ses lubies pour les soi-disants bienfaits de l’argile en ergothérapie. Bon pour le système nerveux. À d’autres ! Installer son matos de poterie dans ma chambre, alors ça, il fallait le trouver. Et retrouver mes lunettes englouties dans le seau de terre glaise, ça aussi c’est pas mal. Je n’y vois toujours rien mais au moins je peux sentir une fraîcheur gluante certaine : mes lunettes sont bien dans ma main droite. Il n’y a plus qu’à rincer le tout. Là, voilà, on y voit déjà mieux, enfin façon de parler, ce que je vois me fais tourner de l’oeil : mon genou ! Mon genou douloureux est devenu bleu. Il gonfle à vue d’oeil. Il gonfle et ça me gonfle. Je n’en peux plus. J’ai mal à ce foutu genou. Marcel ne pourra plus danser. Marcel en a marre. Enfin maintenant au moins la vision s’améliore. On ne peut pas tout avoir. Voir ou danser il faut choisir. Quand on a pas ce que l’on aime il faut aimer ce que l’on a. Et qu’est ce que j’ai à aimer dans cette chienne de vie ? A part ma lyre ?
Ça on peut dire que j’en aurai fait des pieds et des mains pour apprendre à jouer de la lyre. Toutes ces années de cours avec ce prof grec, conservateur de musée, qu’il m’a fallu débaucher de son emploi payé à deux sesterces, dans un musée d’Athènes. Il faut dire qu’avec moi il n’a pas perdu son temps. Donner des cours de lyre à Marcel c’était quand même autre chose que d’être payé par les corbeaux de l’Acropole. Il s’appelait Stylianos Georgios Papadakis (στυλιανος γεωργιος παπαδακης) mais moi je l’appelais Stylios pour aller plus vite. Il a bien fait de venir celui-là. Sans Stylios ma vie serait restée terne et monotone. Il faut dire qu’on est pas nombreux dans les environs à jouer de la lyre. Maintenant, grâce à Stylios échappé de l’Acropole, jouer de la lyre j’adore ça, c’est un son qui me transporte. En tout cas la lyre c’est bien mieux que la poterie. Au début, avec la lyre, tout le monde était contre moi. Et d’ailleurs ça n’a pas changé, chaque fois que je veux jouer de la lyre tout le monde se barre. Je suis devenu l’Assurancetourix du Trocadéro. Mais moi je m’en fous, ils peuvent bien se barrer. Quand je joue de la lyre je suis heureux, je danse, oui, je danse, je danse maintenant et tant pis pour le genou. C’est la St Marcel et je danse comme Marcia dans la chanson des Rita Mitsouko. Marcia baila ! Marcia Marcel même combat ! Je peux enfin connaître une trêve avec Justine et Grabuchon, jouer de la lyre, danser, larguer les amarres, danser, danser, être frais comme une anguille, chanter comme les grillons du métro la chanson des Rita Mitsouko. Me promener nu au clair de lune en jouant de la lyre, la Madone en sera toute pâle. Et puis elle va encore hausser les épaules mais je m’en fous, je danse, je chante Marcia Baila et je piétine le compte-rendu annuel des ressources humaines de l’administration des administrés. Je danse, je chante Marcia baila! Marcia Marcel même combat !
Marcel danse avec des jambes
Aiguisées comme des couperets
Deux flèches qui donnent des idées
Des sensations  

C’est lui, la sauterelle
Le Marcel en mal d’amour
Le danseur dans la flanelle
Ou le carton.
Marcel Moretto
Comme ta bouche est immense
Quand tu souris
Et quand tu ris
Je ris aussi
Tu aimes tellement la vie
Quel est donc ce froid que l’on sent en toi ?

C’est la vieillesse qui t’a assassiné Marcel
C’est la vieillesse qui t’a assassiné Marcel…

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Une réponse à 12. Musique dans la tête

  1. Agrippa Delil dit :

    Nota Bene,
    pour ceux qui seraient intéressés par le chant des grillons dans le métro,
    voir le site de la LPGMP (Ligue de Protection des Grillons du Métro Parisien)
    en lien ci-dessous :
    http://antoine.pagesperso-orange.fr/lpgmp/

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