Cela faisait un moment qu’elle se tenait devant la cheminée du salon. Devant elle, le vase rouge. Immobile, très droite, elle en étudiait les contours et les reflets. Elle pensait le connaître par cœur ce vase. Il était là depuis des années, offert par Jean à Hélène. Chaque fois qu’elle venait, elle était rassurée de le voir. Elle croyait qu’il était incassable, indestructible. Une fois, en aidant Hélène à faire les poussières, elle l’avait fait vaciller. Sa respiration s’était bloquée, elle avait presque été incapable d’un geste pour retenir le vase, alors qu’elle connaissait les conséquences dramatiques de sa chute. Finalement, le vase s’était stabilisé et avait retrouvé sa place, immobile et fier, rouge écarlate, presque insolent de couleur.
Aujourd’hui, c’était différent. Elle voyait le petit morceau de papier à l’intérieur. Un vœu y avait été écrit. Le papier avait été roulé et il s’était légèrement déroulé une fois au fond du vase. Elle avait très envie de connaître le vœu, la promesse de 2013. Mais comment faire ? Qui avait été aussi crétin pour mettre le vœu là, dans ce vase, pour le rendre si inaccessible ?
Elle prit le vase délicatement et le retourna. Le papier bougea un peu et vint se mettre en travers du col du vase, juste assez étroit. Ca ne pouvait être si simple, elle s’en doutait. Elle secoua alors le vase brutalement. On ne sait jamais, le papier pouvait se mettre dans la bonne direction. C’était comme ces jeux de patience, où il faut enfiler un bâton que l’on tient au bout d’une ficelle elle-même serrée entre les dents. Rien n’y fit. Soudain, le choix se fit évident : renoncer au vœu ou renoncer au vase d’Hélène et Jean.
Le vase était son souvenir d’enfant gaie, quand Hélène et Jean étaient encore là, unis et aimants. Ce souvenir était si difficile à abandonner. Plus qu’un souvenir, une certitude, celle de ce qui a été connu, de ce qui la sécurise.
Le vœu était certes un élan vers l’avenir, mais aussi l’eau trouble de l’inconnu. Lorsqu’elle avait vu qu’il était là, elle avait été surprise, heureuse et bousculée en même temps. Ses repères étaient perdus. La tentation était forte et la peur aussi.
Elle regarda le vase encore une fois. Lentement, faire glisser le papier dans le goulot… Elle voulait les deux : le vase et le vœu. Elle prit le vase à l’envers, entoura le long col de ses deux mains. D’un coup sec, elle frappa le vase sur le marbre de la cheminée. La cassure fut nette, à la base du col du vase. Le vœu était libéré et le vase pourrait être recollé. Elle fut surprise de son geste, si maîtrisé, et de ce pari réussi. C’était nouveau et inattendu.