Été 1913

« Arrête Pablo, c’est pas possible d’être aussi radin! Tu ne peux quand même pas laisser Fernande crever de faim. Quel genre de diable es-tu ? « Pablo jette des pierres sur le chemin et regarde Louis avec son air de taureau à la corrida.

C’est l’été 1913, l’Autriche est entrain de réarmer, la Serbie s’agite mais toute l’Europe est persuadée qu’il n’y aura pas de guerre. Il fait très chaud, c’est un été caniculaire.

»Pablo, ton marchand vient d’appeler »Eva s’époumone mais Pablo continue de marcher et ne répond pas. Picasso est un mufle mais toutes ses conquêtes l’adorent et ne voient en lui que sa part d’ange habité  par le génie. Toutes il les embrouille dans son désir, son œil noir et vibrant, son œil rond et vif qui voit tout en instantané, en démultiplié et la nature en cônes et en carrés. Le soucis de Picasso ce jour là porte un autre nom, un bien joli nom espagnol, Juan Gris. Juan le parfait à la technique  infaillible, moins inventif sans doute, moins bouillonnant, moins tumultueux, mais à la touche grandiose, totalement sincère, sans la moindre fragilité.

Rentrant chez lui le catalan fougueux lance la porte à la volée, donne un coup de pied dans une chaise et s’en prend à Eva qui baisse la tête. Il a un rival lui qui, malgré ses grands airs et son talent, est rempli de doute et fou de jalousie. C’est un duel épuisant ! Mais… ne rien laisser paraître, garder ses airs de seigneurs. Picasso s’enferme dans son atelier, Eva pleure et son ami insiste à travers la porte »Tu penses à Fernande? »

Non il ne pense pas à Fernande, pas du genre à s’attendrir sur une ex, il pense à Juan Gris, il pense qu’il doit sortir de sa période actuelle, se renouveler. Marre de toutes bonnes femmes quémandeuses, de ces amis récalcitrants, marre de tout ça. »Foutez- moi la paix, c’est moi qui mène la danse »

c’est un été d’avant catastrophe, mais personne en le sait. Le ciel Méditerranéen est plus bleu que jamais et dans les rues du village le chèvrefeuille se mêle au jasmin. Les pierres brûlent les pieds. Picasso s’en fout, son atelier est bien aéré. Juan Gris lui brouille la cervelle, mais il ne l’avouera jamais ! Quelques jours plus tard, plantant là pinceaux,  chiens, amis et femmes il part  En voyage avec Matisse.

C’est l’été 1913, juste avant qu’Appolinaire se fasse défoncer le crâne .

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