Rouge

Elle s’est levée de sa chaise et elle a senti le flot épais et chaud, inarrêtable. Alors que les autres élèves quittent la classe, elle aimerait se rasseoir, se cacher quelque part jusqu’à la fermeture du collège. Tout mais pas ça.

La chaleur se répand, atteint la toile du jean. Elle court vers les toilettes mais déjà la morsure écarlate transperce. Un rouge cuisant lui dévore les joues tandis qu’elle anticipe les ricanements et les moqueries. La honte. Enfermée dans les toilettes, elle constate les dégâts. La marée sanglante a tout dévasté. Elle bourre sa culotte de papier hygiénique mais elle ne pourra rien contre l’auréole carmin sur son pantalon. Elle pleure à chaudes larmes, entre les murs verts silencieux des WC. Elle pense à Delphine qui ne va pas manquer de l’humilier du haut de ses bottines lavande menaçante. Elle voudrait appeler sa maman mais les portables sont interdits au collège. Et elle respecte cette règle, pauvre idiote qu’elle est. Elle voudrait que sa mère vienne la chercher. Elle pourrait prendre une douche, se pelotonner dans le canapé bleu réconfortant et oublier ses malheurs.

La cloche sonne mais elle ne bouge pas. Elle va rester là, sécher les cours et avoir des heures de colle. Tant pis, elle préfère ça plutôt que d’affronter cette épreuve. Elle pense aux géraniums de sa grand-mère, à son sourire consolateur quand elle lui racontera sa mésaventure mercredi.

Le brouhaha s’atténue, chacun a rejoint sa salle de classe. Elle n’a pas beaucoup de temps avant qu’on s’aperçoive qu’elle manque à l’appel. Vite, vite, en catimini, passer par la grille des profs. La pionne avec sa tête d’aubergine étourdie ne verra rien. Elle court dans la rue. Elle a si hâte de retirer ce jean poisseux, presque envie de le brûler. Elle se sent déjà mieux, plus légère. Elle sait qu’elle va avoir des problèmes pour les cours manqués, mais elle verra plus tard.

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