4. Quelque part sur une rivière

Quelque part sur une rivière, il est debout, placé à l’avant d’un radeau instable. Son corps figé se dessine dans une lumière naissante. Une lumière d’aurore qui habille sa peau des pieds jusqu’à la tête. Sa tête, les yeux fermés, il rêve debout. Debout, le visage tendu par un rêve des plus intenses, une sorte de transe. Il rêve et se tient debout, oui, debout. Près de lui, un camarade est assis en tailleur et lit ‘Le Capital’ de Karl Marx. Ca se passe tôt le matin. Très tôt. Le soleil est à peine levé dans le silence de l’heure bleue. Ils sont là tous deux sur un radeau à la dérive, dans un silence de rêve. A la dérive, à la dérêve, rêve de celui qui est debout, les yeux fermés. C’est son rêve qui le tient debout. Celui qui est assis est dans le contraire du rêve. Ce n’est pas que Marx empêche de rêver mais enfin ‘Le Capital’ impose tout de même un certain réalisme, un réalisme… marxiste. Un réalisme urbain ou industriel mais ici nous sommes en pleine nature, sur une rivière à peine éclairée. Dans une autre logique, le lecteur de Marx aurait pu être debout et le rêveur assis ou allongé. Et bien non : ici le rêveur est debout et le lecteur de Marx assis. Mais tous deux sont réunis sur un même radeau, fragile, flottant au fil de l’eau. Le rêveur aux yeux clos se tient debout à l’avant du radeau, au risque de perdre l’équilibre, et son camarade, assis, ne porte rien d’autre qu’un foulard rouge, la tête plongée dans Marx. Ils voguent tous deux vers une contrée inconnue. Où sommes-nous ? Qui sont-ils ? D’où viennent ils ? Où vont-ils ? Mais quelle est donc cette histoire à dormir debout ? A-t-on idée de flotter comme ça, à l’aurore, embarqués dans l’inconnu d’une rivière ? Quel est donc ce voyage ? Reviendront-ils ? The river with no return.

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