Sans doute, ce matin là, Lucien en se levant se souvint de cette dernière soirée avec ses potes de Khâgne, au lycée Condorcet.
Comme à l’accoutumée, celle-ci avait été très animée, arrosée de multiples alcools, et surtout avait donné lieue aux habituels & passionnés concours de poésie. Chacun, garçons ou filles se jetait dans cette mêlée fiévreuse autour des mots. Tous les faisaient chanter dans leurs bouches, voler sur les façades des visages, éclater en mille bulles colorées, aériennes, graves ou rieuses, toujours pleines du parfum des émotions, des joies & des pleurs.
Ces mots apparaissaient comme cuits & recuits dans le chaudron des mémoires. Ils étaient aussi plein d’espoirs fous portés au paroxysme de nos vies commençantes.
Tous nous mêlions les uns & les autres nos désirs d’une vie plus belle, plus grande, capable de nous faire oublier l’impasse, non pas certaine, mais probable que constituait demain.
Lucien avait en tête les siens faits de chaleur, de foin vert & de soleil. Mais aussi, derrière ceux-ci, s’amoncelaient, nuages sombres de l’âme, ceux du désamour, de l’abandon & du néant.
