C’était un soir. Un soir de pleine lune, je crois. Tu n’arrivais pas à dormir. Tu regardais les ombres nocturnes danser sur les murs. Tu étudiais ces formes, auxquelles donnaient vie ces rayons lunaires presque surnaturels que cette pleine lune dessinait pour toi.
Pour toi. Pas pour moi. Je gisais alors à coté de toi, engloutie par un profond sommeil.
Tu écoutais le ressac de l’eau. Les vagues s’échouer une à une, parfois par trois, sur le rivage que tu arpentais si souvent, les pensées dégoulinant le long de tes bras ballants.
Ces formes étranges, oniriques, absorbaient toute ton attention, et tu ne te souvenais même plus que j’étais là. Juste à coté de toi.
Je te dis cela, car même naufragée dans mon sommeil, je me souviens distinctement de la pression sur ma jambe, lorsque souhaitant t’extraire du lit, tu l’as écrasée de tout ton poids.
Les figures mouvantes sur les murs, les frissons des arbres dansant pour toi, les appels incessants des vagues, du grand large, s’ouvrant soudainement pour toi, t’appelaient à quitter la chambre.
A quitter l’obscurité. A t’irradier de lune, et prétendre qu’il est midi.
Tu étais nu. Tu es toujours nu.
Et, en foulées que j’imagine légères, tu t’es glissé dans le salon, vers le sillon et ce petit chemin qui se perd, et qui me perd. Moi aussi.
Il y avait, à cet instant, une confusion des mondes, une confusion des heures et des espaces, un combat contre les repères que nous édifions, pour nous rassurer. Savoir où nous en sommes.
Toi tu n’as jamais su. Non par égarement, ni insignifiance, mais par volonté.
Tu as laissé les gouffres nocturnes m’emporter, ou continuer leur œuvre, et tu as à présent atteint le sable. Nu sous tes pieds. Humide. Tu as laissé l’eau froide lécher ta peau. Et tu t’es assis. Plus tard, dans la journée, tu m’auras fièrement montré l’empreinte encore béante de ton postérieur comme moulée pour toujours dans le sable.
Une œuvre d’art, aurais-tu dit.
L’émouvante trace qu’un homme s’est trouvé là, cette nuit là, devant non des flots rugissants, mais un doux et entêtant clapotis.
Tu me racontes tout cela. Je trouve encore dans tes cheveux des cristaux de sel. Et je te crois.
Tu as tourné les yeux vers cette lune ronde, gonflée à en éclater.
Tu as attendu qu’elle explose et te ruisselle dessus.
Tu n’as pas attendu bien longtemps.
Quand tu es revenu dans la chambre, de froides gouttes m’ont arrachée à mes abimes. Tu sentais l’iode, les naufrages, et d’autres effluves que mon esprit engourdi m’empêchait de nommer.
Tu m’as tendu un bouquet d’algues. Et tu as simplement dit « De la part de la lune ».