Le vrai souvenir inventé

« Comme d’habitude, je me retrouve assise dans la mer émeraude. J’ai les fesses mouillées et je ne me souviens plus exactement pourquoi je suis venue ici. Pour fuir, je crois. Mais fuir quoi ?
« Depuis combien de temps vous racontez-vous ce souvenir, Rose ?
« Je ne sais pas. Quelques mois, un peu plus peut-être. Mais pourquoi dites-vous que je me le raconte ?
« Parce que ce n’est pas un vrai souvenir, n’est-ce pas ?
« Bien sûr que si ! Enfants, nous allions tous les étés à la mer. La couleur était d’un vert bleu émeraude. Avec ma sœur, nous nous asseyions sur la place, là où les vagues viennent mourir et où l’eau est peu profonde. Nous sentions sous nos fesses le sable qui se dérobait et ça nous faisait rire.
« D’accord. Maintenant, j’entends bien que vous me racontez un souvenir, un vrai. Mais tout à l’heure, que me racontiez-vous ? Un rêve ?
« Non ! C’est toujours le même souvenir. Qu’est-ce qui vous fait dire que c’était un rêve ?
« Vous racontiez au présent. Et vous parliez d’une fuite. C’est comme quelque chose que vous imaginiez, que vous viviez en direct.
« Franchement, je ne vois pas la différence. Un souvenir, c’est le passé, et l’on invente toujours un peu. Comment dire ce qui est vrai, ce qui ne l’est pas ?
« Est-ce que cela vous arrive souvent d’inventer ? De raconter des choses qui ne sont pas vraies ?
« Mais tout ce que je raconte est toujours vrai. C’est inventé, mais vrai. Comme l’autre jour lorsque je vous ai dit que je prenais le train de 8h13. J’ai inventé l’heure du train, mais je disais la vérité que je vous ai dit que j’allais le prendre pour venir. C’est l’intention qui compte, non ? Si c’est vrai dans ma tête, ça peut l’être pour tout le monde, vous ne croyez pas ? »

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