Les sauvages s’installent partout dans nos rues.
Nos trottoirs en sont envahis. Indésirables et conquérantes, elles se glissent dans les moindres recoins. Peu nombreuses et discrètes au début on les remarquait à peine. Aujourd’hui ces aventurières, ces colonisatrices sont de plus en plus nombreuses. Rien ne les arrête, elles arrivent à percer le bitume ou le béton pourtant réputés solides. Elles résistent aux gaz toxiques des voitures et contournent toutes les difficultés. Elles ont une capacité de survie incroyable.
Propices au retour des sauvages les cimetières leur ont offert calme et espace. Les tombes abandonnées ont été leur première conquête. Auprès des défunts elles ont trouvé le repos.
Indomptées elles se sont blotties dans les cavités. Aujourd’hui elles s’invitent dans les jardins cultivés. Tout d’abord les jardiniers les ont repoussées, arrachées sans pitié mais elles réapparaissent comme par enchantement.
Peu à peu elles progressent, élargissent leur territoire et ont gagné le cœur des habitants.
La grande mauve qui fleurit tous les deux ans, la brunelle commune, le pissenlit, la petite cigüe ou le coquelicot, toutes ces fleurs nous touchent, nous émeuvent par leur simplicité et leurs délicates couleurs. Être attentif à cet écosystème en liberté nous fait regarder le monde différemment. Essayons de profiter pleinement de minuscules évènements tel le vent disséminant les graines de chardon ou de pissenlit. Ecoutons avec bonheur les oiseaux qui se chamaillent dans les églantiers.
Bien avant d’avoir envahi les villes, les fleurs sauvages que nous appelions mauvaises herbes vivaient au calme sur les voies de chemin de fer ou dans les friches industrielles. Comme dans cette usine abandonnée et à moitié écroulée à la périphérie de la ville. Son architecture puissante laisse imaginer hier une autre vie autour de ces bâtiments. Les lianes du lierre et des clématites sauvages sont parties à l’assaut des pans de mur et du reste des toitures. Cet endroit désert revient à la vie grâce aux sauvages. Petit à petit les humains reviennent vers ce lieu presque oublié.
Oublié ? Peut-être pas pour tout le monde, dans un des tiroirs de la mairie dort un dossier depuis des dizaines d’années. Il a été remis sur le dessus de la pile très récemment. Pour l’instant l’endroit reste le même avec ses nombreuses fleurs, ses arbustes et ses nombreux animaux sauvages qui ne sortent qu’à la tombée du soir ou la nuit tel le renard ou la fouine. Les lapins insouciants n’ont qu’à bien se tenir.
Sous la lune voilée de brume la vieille usine ressemble à un bateau fantôme. Certains soirs on entend chuchoter dans le noir. Des jeunes se retrouvent à la lueur d’une lampe de poche, ils viennent se raconter leur journée, parler de leurs rêves, parler de leur vie. Ils partagent des cigarettes, des bières et peut-être d’autres substances…
Branlebas de combat, le dossier de la mairie a été rouvert. Les riverains s’inquiètent. Une menace se profile, mais laquelle ? Personne ne la connaît vraiment car rien ne filtre de la mairie. La mégapole est à l’étroit et ne cherche pas à défendre la nature. Tous savent que menace il y a et qu’il faudra défendre ce petit coin champêtre.
En réponse, depuis quelques jours, la friche est parcourue par un drôle de personnage en bermuda rouge. Il arpente le terrain et photographie sans relâche pendant plusieurs semaines. Il lui a été donné pour mission de répertorier la faune et la flore. A la fin de son safari photos, son herbier géant est fort de cent cinquante espèces. Ce n’est pas rien cet écosystème ! Monsieur le maire aura-t-il au moins le temps de le feuilleter ?
En attendant, en regardant au loin, la friche est magnifique sous le soleil couchant. Les coquelicots savent-ils ou croient-ils qu’ils sont rouges ? Peu importe, ils dodelinent de la tête sous la brise de juillet.