La lettre

Chère Adèle,
Voici enfin de mes nouvelles après de longs mois de silence.
Depuis mon arrivée dans l’île et quelques jours pour trouver où loger, j’ai pris un nouveau rythme. Mes journées sont toutes les mêmes, et je puise de cette routine une nouvelle énergie accompagnée d’un apaisement profond. Il m’a fallu cet éloignement brutal en apparence mais salvateur pour me défaire de son emprise et ne plus être sa proie. Plus jamais, je me le suis promis.
Tu es la première et la seule à avoir de mes nouvelles mais je sais qu’il ne viendra jamais te questionner sur moi. C’était le seul rempart à sa personnalité flamboyante mais dangereuse que j’avais eu la bonne idée d’ériger. Ne jamais parler de toi et de nos longues lettres qui ont ponctué notre vie depuis l’adolescence.
Une nouvelle étape dans la mienne, cette île battue par les vents et les tempêtes. Je me lève le matin avec la lumière du jour qui rentre dans ma chambre. Je loge sous les toits chez un vieux couple de pêcheurs. Ma fenêtre donne sur la mer au loin et je peux deviner de mon lit, le temps qu’il fait au réveil, à sa couleur bleu azur ou grise chargée de moutons. Chaque matin le même rituel qui passe par un café chaud bu derrière la vitre. Puis j’enfile mes bottes, mon ciré et mon bonnet et je pars marcher sur la lande. Tu ne peux pas imaginer à quel point ces promenades m’apaisent. Les couleurs fauves de l’automne et grises de l’hiver ont fait place depuis quelques jours à des touches parsemées jaunes et violettes du printemps. J’aime arpenter ce paysage sauvage et solitaire. Je croise rarement un promeneur mais suis accompagnée par les lapins qui sortent de leurs terriers devant mes pas. Souvent j’emporte un pique-nique et je m’abrite du vent contre un rocher. Là, il m’est parfois difficile de ne pas penser au passé mais peut-être sortirai-je plus forte de cette aventure amoureuse désastreuse. Ici les gens sont simples, la vie est simple et les problèmes semblent se résoudre d’eux-mêmes et de l’entraide des habitants.
En fin d’après-midi, je rentre à la maison, où un chocolat chaud préparé par mes hôtes bienveillants m’attend. La femme, Raymonde, cuisine souvent pour moi quelques tranches de pain perdu qu’elle a arrosé de sirop à la rose. Tu adorerais, j’en suis sûre.
Puis je pars lire dans ma chambre jusqu’au diner. Aujourd’hui, je profite de ce moment calme pour t’écrire avec le soleil qui se couche au loin. J’attends le soir et puis je respire.
A l’heure du dîner, je rejoins mes hôtes dans la cuisine. Peu de paroles mais beaucoup de douceur chez ce vieux couple.
Cette vie simple me convient au-delà de ce que je pouvais espérer. L’autre jour j’ai même songé à m’installer ici définitivement. C’est la souffrance qui m’a guidée dans ce lieu et c’est l’espoir d’une vie qui me corresponde mieux qui m’y fera rester. Je vais sûrement garder ce logement jusqu’à la fin de l’été. Cela fera alors un an. Ensuite, je chercherai un petit boulot et un toit bien à moi. Tu pourras venir. Ça me fera plaisir.

Donne-moi aussi de tes nouvelles bientôt,
Hélène, ton amie de toujours.

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