Est-ce que tu serais froissée si tu savais qu’en rangeant tes affaires j’ai empaqueté ce lot de cahiers lignés sans même en lire une seule phrase ? J’en ai ouvert un et je l’ai refermé aussitôt, reconnaissant en un regard cette écriture qui est la tienne. Une écriture difficile à lire, sans ratures ni trop de marges. Une écriture qui traduit ta vivacité. Chaque fois que je t’ai vue écrire, tu traçais rapidement les mots et tu tournais vite les pages. Ecrire ne te faisait pas peur.
Je ne lirai pas tes cahiers, non parce qu’ils ne m’intéressent pas. Seulement, pour en remplir moi aussi, je sais que ces textes qu’on écrit seul et qu’on laisse à portée de son lit, ce sont des mots pour soi, seulement pour soi. Ce ne sont pas des boîtes de chocolats qu’on ouvre pour les partager avec nos visiteurs de choix. Ce sont des mots tus, des mots gravés dans le silence, des mots comme nos solitudes.
Peut-être y as-tu écrit des poèmes ?
Peut-être y as-tu décrit l’oiseau migrateur que tu étais, d’une certaine façon.
Les cahiers sont comme des voyages. Ils font partie de nous. Les autres savent qu’ils existent.
J’aime imaginer que le ciel est grand et haut dans tes pages, que la plage de galets s’étire au petit matin, à cette heure où le jour se déplie, encore un peu dans le rêve de la nuit, déjà sur le qui-vive.
Il faudrait trouver un grand carton pour entreposer tous ces cahiers. Les conserver hors des regards, à quoi bon pourrait-on se demander ? Je n’ai pas de réponse. Seulement, si toi tu ne les as pas jetés, c’est bien pour que je les garde pour toi. J’en serai le conservateur silencieux. Celui qui ne pose pas de questions, qui ferme la porte et attend que le jour d’après vienne. Que tombe la neige. Que passent les saisons.