Quelqu’un se prénomme…

Quelqu’un s’approche. Eustache reconnaît Farandoline. La petite est le fruit d’un curieux ménage. Un maréchal-ferrant et une joueuse de mandoline.

Quelqu’un trouve ce prénom ridicule.

Quelqu’un a très envie d’emmerder ceux qui rient de sa fille ; c’est Éléonore, l’amoureuse du maréchal-ferrant.

Personne n’ose se moquer en public du prénom de cet homme robuste. Car si quelqu’un frappe, à coup de fer brûlant, dans la tronche du coupable, il y a des chances que cela fasse fichtrement mal.

Allez, quelqu’un vous le dira peut-être ; le papa de Farandoline s’appelle Ilébeau.

*

Quelqu’un a écrit ces prénoms sur des registres. Un autre a tapoté sur des claviers pour interroger la grande base de données des prénoms autorisés.

Aldebert, l’officier d’état-cil en chef se souvient de l’embarras de son adjoint Barnabé, lorsque ce dernier a reçu Ilébeau pour enregistrer la naissance de sa fille.

– Nom du père ?

– Monfils.

– Prénom ?

– Ilébeau.

– Pardon ?

– Non, j’ai dit Ilébeau. I-L-É-B-E-A-U.

– C’est une blague ?

– Non, non ! Si j’étais une fille, je m’appellerais Isabeau.

– C’est un prénom de fille, ça ?

– Enfin, bien sûr ! Révisez vos classiques !

– Hum… Bref, et c’est passé ?

– Évidemment ! Mon père, c’est Léonard.

Le Léonard, l’ancien maire ?

– Oui ! Vous voyez, entre gens intelligents, on s’arrange toujours.

– Revenons-en à cette naissance. Nom de jeune fille de la mère ?

– Dinnal.

– Prénom ?

– Éléonore.

– Ah ! Ça me convient mieux !

– Je ne vous ai pas demandé votre avis. Ma fille, ce sera Farandoline.

– Quoi ? Mais vous voulez en faire une future harcelée ?

– Mais non ! Je lui apprendrai à se défendre. Si jamais quelqu’un traverse pour lui jeter un regard mauvais, il aura droit à un bon marquage au fer rouge ! Vous avez ma parole ! Effarant, non ? Tenez, pour l’anecdote, on voulait l’appeler Ferrandoline, parce que je suis un maréchal-ferrant, et que la maman joue divinement de la mandoline. Ça faisait trop de consonnes, alors on a adouci le ferrant en effarant. Comme ça, elle porte les caractéristiques de son papa et de sa maman. C’est pas mignon ?

– Hein ? Excusez-moi, j’ai décroché. Pas la peine de me la refaire, j’ai bien noté F-A-R-A-N-D-O-L-I-N-E. Date de naissance ?

– 16 janvier.

– Année ?

– Malotru ! On ne demande jamais son âge à une femme.

– Mais… ce n’est encore qu’un bébé ! C’est l’état-civil, ici !

– Vous voulez en faire une future déprimée ? Débrouillez-vous pour l’enregistrer comme ça.

Quelqu’un avait regardé la scène sans en rater une miette ; c’était Aldebert. Qui ignorait que quelques années plus tard, il devrait consigner l’acte de naissance du dernier né de la maisonnée Monfils. Les parents avaient prévu Mistinguett pour une fille, et l’échographe les avait confortés jusqu’au bout. Le jour de la délivrance, c’est un petit bonhomme qui avait ouvert les yeux sur Ilébeau et Éléonore. En catastrophe, pour limiter les frais de Blanco sur les faire-part déjà imprimés (il y avait des soldes chez l’éditeur), ils retinrent le prénom, rare, de Mistingué. Un coup de fil à l’ancien maire, et ce fut accepté.

 

 

N.B. Toute ressemblance avec des prénoms existants (hormis Éléonore et Barnabé, qui ne courent pas les rues, mais sont tout de même portés) serait malheureusement fortuite.

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