les deux frères

« Qu’est-ce que tu entends quand tu écoutes ?

Qu’est-ce que tu vois quand tu regardes ?

Qu’est-ce que tu sens quand tu respires ?

Tout comme toi !

Mais non imbécile : tes oreilles sont plus grandes, ton nez plus gros, tes yeux plus petits. Alors forcément ça fait de la différence.

Quand la maîtresse nous gronde j’entends tout pareil ; quand Grand-Mère cuisine ses biscuits, je me lèche les babines comme toi ; quand Maman crie, je me cache comme toi. Alors, c’est pas pareil ça ?

Je vais t’expliquer.
Quand Grand-Mère cuisine ses biscuits, ma langue commence à piquer, ma salive afflue, mes yeux se ferment pour laisser plus de place à mes narines. L’odeur monte, grandit comme le brouillard des jours d’automne qui n’en finit pas de se promener. Ma bouche s’ouvre toute seule, prête à engloutir tous les gâteaux à leur sortie du four. Je sens même déjà la brûlure sur mes lèvres.

Tu les sens comme ça les biscuits ?

Quand la maîtresse nous gronde, j’entends pas. Je regarde le grand marronnier de la cour, si grand qu’il nous cache le soleil. Il est toujours beau, majestueux, même en hiver. J’aimerais avoir sa force, son prestige, sa taille. J’aime ses fleurs blanches au printemps ; ses bogues à l’automne qui font PLOC en s’ouvrant au sol et ses feuilles qui dansent dans le vent.

Tu le vois comme ça le marronnier ?

Et quand Maman crie je rigole parce que je sais que tu as encore fait une bêtise. Je ne me cache pas, je te protège.

Tu comprends ? J’entends pas la même chose que toi.

Ah ben dis donc, t’en fais bien des histoires avec tes trucs. Le résultat c’est le même : la maîtresse gronde, les biscuits sentent toujours bon et Maman crie.

Et bien petit, on dira que tu sens en rose, tu entends en gris et tu vois rien du tout !

Moi, je sens en rouge pétillant ; je vois en multicolore ; j’entends en 3D.

Tu comprends ? C’est pas du tout, mais alors pas du tout pareil ! »

Sylvie W