Emmène-moi. Transporte-moi.

Tu me mènes à moto ou tu me mènes en bateau ? A moto, tu as traversé des terres arides, des forêts, des routes pavées ou non, tu es allé jusqu’à la mer pour aller pêcher l’espadon. Tu as pris le bateau pour remplir tes filets. Tu as vu l’eau à perte d’horizon. La ligne de ta canne à pêche souvent immobile, tu attendais, tranquille, ta prise. L’espadon était pourtant là, à tourner autour du bateau. Il ne te narguait pas. Il t’a proposé de te jeter à l’eau. Il t’a proposé de nager loin là-bas pour t’éloigner des eaux troubles.
Nonobstant ses belles propositions d’évasion, tu es resté sur ton bateau et l’espadon n’a pas mordu à l’hameçon. C’est con, non ? Alors, tu me mènes à moto ou tu me mènes en bateau ? Moi, j’aime bien les virées à moto mais juste avec toi parce que je n’ai pas peur, parce que je me sens libre. Pourtant ce n’est pas moi qui conduis, c’est toi. Je te laisse prendre les rênes, je te laisse me conduire. Je ne sais pas si tu sais comme c’est difficile pour moi de te laisser conduire. Mais une petite voix me dit de te laisser faire, de te laisser une chance, de te faire confiance, de laisser tomber les barrières. Et cette petite voix, je commence enfin à lui faire confiance.
Et toi ? Tu entends ta petite voix ? Qu’est-ce qu’elle te dit ? Te dit-elle de croire en toi ? Te dit-elle de croire en moi ? Te dit-elle de croire en nous ? Ah ! Tu ne l’entends pas, tu ne l’écoutes pas ! C’est con aussi ça, non ? Tu ne crois pas en Dieu, tu ne crois pas en la chance. Alors tu crois en quoi si tu ne crois même pas en toi ? Pourtant, tu le cries tellement haut et fort que t’es beau, que tu prends soin de toi et de ton corps, que tu fais de la musculation pour paraître encore plus fort, encore plus grand. Il faut être un homme, un vrai, pas vrai ?
Si seulement tu savais le petit surnom que je t’ai donné les premières fois que je t’ai rencontré. Je trouvais que ça t’allait bien et puis, à force de me raconter ta vie et celle des autres, j’ai trouvé que Monsieur Testostérone, ce n’était pas très gentil et ça ne t’allait pas si bien que ça. Pourtant, t’en dégages de la testostérone ! Ce n’est un secret pour personne.
Ce qui est un secret, c’est la réponse à ma question : tu me mènes à moto ou tu me mènes en bateau ? Tu as des réponses évasives à mes questions. Tu as fait de la boxe avant, c’est ça ? Un pro de l’esquive. Quand ça ne te convient pas ou que tu ne veux pas, tu réponds : « Je t’expliquerai, c’est compliqué ». Aujourd’hui, dans une série télé à la con, un personnage a répondu : « Si on dit que c’est compliqué, c’est qu’on a peur ». J’aurais peut-être dû te répondre ça à chaque fois que tu te caches derrière un « je t’expliquerai ». Mais ma petite voix me dit de ne pas te brusquer, de ne pas m’énerver, de ne pas te montrer que j’ai vu les failles que tu ne veux pas montrer. Tu sais, ces failles qui te rendent juste humain. Ces failles et ces blessures que tout le monde cache pour ne pas montrer sa vulnérabilité.
C’est vrai qu’un homme, un vrai, n’est jamais faible, n’a jamais mal, il a des couilles, c’est bien ça ? Il a fait plusieurs guerres comme ton père. Pourtant, tu les as vues aussi les marques de ses blessures de guerre, les cicatrices qu’il a sur le corps et la figure. Même s’il n’a jamais voulu parler des combats qu’il a menés, tu sais qu’il a douillé. Au moins, il a été reconnu, il a été médaillé.
Tu vois bien qu’on ne peut pas vraiment cacher ses blessures. Il y a toujours quelqu’un qui voit, quelqu’un qui sait. Sauf que dans tout ça, même si je vois, même si je sais, je ne sais toujours pas ce que tu attends de moi. Tu me dis souvent que tout est logique, que je suis loin d’être conne mais parfois tu me perds. J’ai trop d’informations, trop de choses sans queue ni tête. Je ne sais plus ce qu’il faut que je raccroche à quoi. Tu ne peux pas dire les choses simplement et directement.  On gagnerait du temps, tu ne crois pas ?
Le week-end dernier, je suis allée chez ma mère. Je me suis endormie et j’ai rêvé de toi. Quand je me suis réveillée, le chat ronronnait tout près de moi, il s’était calé derrière mes genoux. Au fait, t’aimes mes genoux ? Ça n’a rien à voir, mais c’est logique, tu verras. C’est le gars à côté de moi qui raconte ça. Tu comprends pas ? C’est pas grave, tu peux continuer à me réchauffer les genoux quand on est arrêtés au feu rouge à moto. J’aime bien ça.
Alors, tu me dis toujours pas : tu me mènes à moto ou tu me mènes en bateau ? Ça y est, je crois que j’ai compris, il faut que je te laisse parler, ne pas te poser de questions. Tu m’as dit : la réussite d’une mission tient en sa préparation. Et là, tu prépares, tu prépares. Mais je suis bien ta mission ? Ah zut ! Une autre question. C’est comme ça, tu ne me changeras pas, je pose beaucoup de questions, beaucoup trop je te l’accorde mais je ne dépasse jamais les limites. Je respecte le temps et l’espace. Même si ça m’agace fortement que tu prennes ton temps. Comme certains jours, ça me fait du bien que tu prennes ton temps parce que, moi aussi, j’ai mes craintes et mes peurs. Alors je te laisse à la frontière, j’hésite à te faire entrer dans mon univers.
Aurais-tu les mêmes craintes que moi pour te retenir ? Mais tu m’as déjà fait entrer dans ta vie : tu m’appelles le matin, tu m’écris la journée, tu m’appelles le soir avant de dormir. Pourquoi tu m’appelles ? Qu’attends-tu de moi ? Tu prends ton temps ou tu me baratines ? Tu sais, j’ai demandé au chat de ma mère ce qu’il pensait de tout ça, il a ronronné, il était bien. Il s’en fout un peu le chat. Il voulait juste continuer à dormir, il était bien calé derrière mes genoux. Alors, c’est comme s’il me disait : « Allez au lit ! ». Et moi, je lui ai demandé : « Mais avec qui ? Avec lui ? Je ne suis pas sûre qu’il ait envie. Ou peut-être qu’il n’a pas compris que j’avais envie aussi ? »
Le chat a ronronné de plus belle. Voilà, tu vois, parce que tu ne me réponds pas, j’en suis réduite à demander au chat. N’importe quoi ! Pourtant je sais au fond de moi que tu veux bien. Dors bien et rêve de moi. On en reparlera demain.
« Hi, ça va ? Suis bureau » me dit ton texto matinal. Alors, t’as rêvé de moi ou pas ? Moi oui, mais je ne te le dirai pas, j’ai peur que tu t’enfuies. On m’a donné une jolie définition du mot rêve. Je te la dis ou pas ? Oui. Le rêve : l’hélicoptère de l’âme.
Ça te parle ou pas en tant qu’ancien para ? T’as déjà sauté d’un hélicoptère ou pas ? C’est pas important en fait. Tu étais dans le ciel, dans les nuages, ton âme était libre et ta tête pleine de rêves. Mais, pour ton premier saut, le parachute était en torche, ça fait trop vite revenir à la réalité, à l’urgence à gérer.
C’est pour ça que tu n’oses plus rêver ? C’est pour ça que tu ne te souviens que de tes cauchemars ? Alors tu me dis ou pas si t’as rêvé de moi ? Pourquoi tu ne me dis pas ? Tu me mènes à moto ou tu me mènes en bateau ? Regarde là-bas, il y a une voile au loin. C’est le bateau. Il s’est barré avec l’espadon. Et toi, tu restes là comme un con. Mais t’attends quoi ? T’as peur de quoi ? Je ne vais pas te manger. Quoique…
Il ne faut pas que je m’énerve, ça va te faire fuir à l’autre bout de la Terre. Pourtant, j’ai bien le droit de te dire ce que je ressens et ce dont j’ai envie. Après, tu peux dire oui, tu peux dire non. Mais dis quelque chose ! Ah, je m’énerve encore.
Je vais te laisser le temps de la réflexion. Il t’a fallu quelques jours pour te décider à acheter ta moto. J’imagine qu’il te faut plus de temps pour te décider pour moi. Je te préviens juste que je n’attendrai pas le fruit de ta réflexion 107 ans.
Tu sais, malgré toutes les peines et les échecs passés, j’ai décidé d’être heureuse. Ce sera avec ou sans toi. Avec toi ou un autre que toi. Si, toi aussi, tu veux être heureux, viens, viens vite près de moi et emmène-moi à moto pour que je puisse me serrer contre toi, qu’on fasse corps toi et moi. Alors tu veux ou tu veux pas ?
Tu me proposes quoi ? C’est toi l’homme, c’est toi qui guides, c’est toi qui conduis, c’est toi qui décides. C’est ça un homme, un vrai, non ? Moi, je te dirai oui, je te dirai non, parce que c’est comme ça : je suis libre de ma vie, je suis libre de mes choix. On ne peut forcer personne à faire les choses contre son gré.
Je ne peux pas te forcer à m’aimer. Et malgré ça, tu t’approches de moi, tu me frôles, tu me touches de tes larges mains, tu me réchauffes les genoux.
Un soir, on a pris la pluie à moto. On est passé chez toi pour changer de moyen de transport : une voiture, pas un bateau. J’étais bien chez toi, le temps de réchauffer mes genoux sous la couverture.
Quelques jours plus tard, tu es passé chez moi. Tu étais plus nerveux que moi chez toi. Tu t’es assis sur une chaise, sur une autre, sur le canapé. Non mais allo…où es-tu assis ? Sur mes genoux, pardi ! Pourquoi t’es tendue tu m’as dit ? A ton avis ? J’ai envie, t’as envie mais je sais que tu seras parti avant même le début de la partie.
Je n’ai pas peur de toi. Pourquoi as-tu peur de moi ? Alors tu me mènes à moto, tu me mènes en bateau ou mieux, tu m’emmènes au bout du monde ?

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