La boue

Il regarde ses pieds. La boue atteint presque ses chevilles. Catastrophe, mais il a peur de se perdre. C’est son chemin. Il faut absolument qu’il arrive à l’heure pour décrocher ce travail. C’est de la boue mais c’est aussi sa chance aujourd’hui. Des chaussures boueuses, ce n’est pas une catastrophe. Cela montre qu’il ne se dérobe pas, qu’il va droit au but. D’abord, l’aventure, c’est dans la rue, ce n’est pas dans le bus ou dans le métro, au sec, au chaud. Et puis, c’est gratuit, pas de risques de se faire attraper par un contrôleur. Il ne lui reste que quelques euros qu’il compte bien utiliser pour s’acheter quelque chose à manger, une pizza, un truc chaud. Il appartient au loin un petit attroupement, c’est une file d’attente. Tous ces gens, c’est pour le travail ou pour un appartement à louer ? Ce n’est pas possible. Il doit y avoir autre chose. Il n’a pas l’habitude de ces rendez-vous orchestrés par les agences. Il ne sait pas vraiment comment cela fonctionne, que ce soit pour une location ou un travail. Il n’y a eu personne pour l’épauler, le conseiller, le faire grandir. Comme disait sa grand-mère, « un oiseau né en cage, pense que voler est une maladie ». Et lui, il est un peu comme cela. Il ne lui vient pas à l’idée qu’il pourrait parfois arranger la vérité, qu’il n’est pas obligé de tout dire. Cela lui fait tout drôle quand il entend des gens mentir, raconter des histoires tout en se pavanant. Il sert les poings dans les poches de son anorak et se rapproche. Il secoue ses pieds, un peu de boue tombe. Il aperçoit le numéro, non ce n’est pas celui indiqué sur la recommandation. Il est soulagé. Il voit se profiler une porte cochère, l’entrée d’un superbe immeuble, à la façade décorée de moulures sculptées. Une concierge jette le contenu de son seau d’eau pour laver le trottoir. C’est là, c’est bien ce numéro. Il regarde à nouveau ses pieds, la boue n’a pas encore fini de sécher. Le regard noir de la femme au balai s’accroche à sa silhouette. Il ralentit.

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