Rester vivante

Chère Jessie,

De là où je t’écris, le soleil a disparu. Seul son souvenir est gravé dans la terre, par endroits, dans les éclats de flaques réfléchissant ses passages anciens. Cela fait aujourd’hui un mois que je n’ai pas travaillé. Mon atelier est resté vide de toute activité, les morceaux de glaise ont séché, le four est resté froid. Mes instruments sont éparpillés à même le sol depuis ce jour funeste où j’ai brisé en mille morceaux la grande figure d’Auguste. Depuis, je n’ai pas osé m’aventurer dans cette pièce glaciale, où seule la mémoire élève un rempart entre l’inspiration et moi.

Depuis que j’ai quitté Paris, il n’a cessé de hanter mes jours et mes nuits, mes errances et mes fuites, mes songes et mes cauchemars. Sais-tu, chère Jessie, que j’ai reçu de sa part un mot hier, dans lequel il renouvelle sa confiance en moi ? Dans ce cas, pourquoi ne vient-il pas me retrouver ? La vie parisienne et ses affaires sont-elles plus importantes ? Est-ce que je ne mérite pas toute son attention ?  Je ne peux me résoudre à croire qu’il m’ait tourné le dos.

Dans ma lettre précédente, je disais à Auguste qu’il y a toujours quelque chose d’absent qui me tourmente et je crois que je sais ce que c’est maintenant. Toi, Jessie, ma fidèle amie, tu es peut-être la seule qui puisse me comprendre. La seule qui sache ce que c’est qu’avancer parmi les ombres mortes, se confronter aux regards voraces et dénués de grâce, chanter sans être entendue. Et ce vide en moi, je ne peux le combler que dans mon travail, avec mes œuvres, mes idées, mon tumulte. Et peu importe le reste.

J’espère te voir bientôt. Le vent ici est froid et il a presque emporté tous mes espoirs. Je dois retrouver mon atelier si je veux rester vivante.

Avec toute mon affection,

Camille C.

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