Le village disparu

L’abbé était sorti se promener. C’était une date importante pour lui aujourd’hui. Il faisait cette promenade tous les ans, le jour de son anniversaire, enfin, le jour qu’il croyait être son anniversaire. Il allait de l’abbaye où il avait été trouvé quand il était bébé vers le mas là-haut sur la colline.
On lui avait dit qu’il venait probablement du village là-bas. Un village qui a été détruit par le feu quelques jours après sa naissance. Pour le sauver du danger, il avait été déposé là, devant l’abbaye, un matin encore plein de fumée et de suie.
Il avait grandi au milieu des prières régulières, des repas silencieux où même le bruit des couverts dérangeait. Le seul jeu qu’il pouvait pratiquer dans ce silence de mort était les échecs. Il était devenu un grand champion d’échecs. Il avait réussi à mettre échec et mat chacun des moines présents dans ce cloître un peu lugubre à son goût.
Il rêvait de courir dans les champs de blé, de taper dans un ballon avec d’autres enfants, de crier et chanter à tue-tête des chansons paillardes qui froissaient les oreilles de ses colocataires habituels. Alors, quand chaque année, il avait l’autorisation de sortir de cette barricade pour aller jusqu’au village disparu, il se sentait enfin respirer.
Il se disait qu’il allait peut-être enfin rencontrer une autre âme qui vive, une personne rescapée comme lui des flammes d’antan.
Chaque année, il revenait bredouille mais tout de même heureux d’avoir pu se rouler dans l’herbe aujourd’hui verte.

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2 réponses à Le village disparu

  1. Laurabazin dit :

    Merci Marija pour ce texte.
    J’ai trouvé aussi que tes autres productions étaient super sympas.
    J’ai remarqué un point commun entre eux: l’enfance. Est-ce volontaire?

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