Ceux qui connaissent le refuge Albert 1er. savent que les courses qui en partent débutent par un raidillon dans un éboulis très pentu.
Pierre, notre premier de cordée, ce matin là, le déboula d’un coup. Mauvaise chute. Fracture d’une cheville. Pour lui, la course s’arrêtait là. Il eu juste le temps de me dire : « tu prends la place de premier de cordée ».
Ce cri, dans l’aube naissante, me frappa l’esprit. Ce serait la première fois, & même si l’ascension de l’Envers des Aiguilles n’était plus, pour moi, une première, j’imaginais déjà la pente très raide, glacée. Grand élan de 500 mètres qui se hisse vers le col sous les aiguilles. Toute les difficultés seraient là. Tout, ou presque, reposait sur la vigilance du premier de cordée. Sur sa vigilance, sa rapidité à réagir. Sur son sens de la neige en haute montagne. Choisir où mettre ses crampons, planter son piolet. C’était un art fait de technicité & de sang froid.
Ma place dans la cordée avait toujours été en deux ou trois, m’appliquant à mettre mes pas dans ceux de Pierre, & veiller à une bonne tension de la corde devant & derrière, ni trop tendue, ni trop lâche. Le premier, & aussi de moindre manière le dernier de cordée, assure celle-ci. Si l’un de nous dévisse, le premier bloque la chute, aidé des autres ; mais si le premier se trompe dans son choix, toute la cordée risque de partir avec lui, sauf si le dernier parvient à tout retenir.
Avec toutes ces pensées nous reprîmes la course, donc moi en tête, Nathalie derrière, & Lucien pour boucler la cordée. Cordée de 3, cordée idéale disent les guides. Nos lampes frontales piquaient l’air glacé de leurs faisceaux zigzagants , quand nous abordâmes la pente sous le col. Devant nous la glace vive scintillait sous les étoiles & moi la tête dans mes pieds, les muscles tendus, je commençais à cramponner précisément. Derrière moi, les souffles rapides & longs des deux autres de la cordée me rappelaient que c’était moi le premier.