Le cahier

J’ai gardé le cahier intime de ma mère. Elle me l’avait confié quelques temps avant sa mort, en me faisant promettre de ne le lire que quand elle serait partie. C’est ce que j’ai fais, j’ai même mis du temps avant de pouvoir l’ouvrir. Que connaît-on des personnes qui nous sont proches ? Et davantage encore, de la vie de nos parents ? J’ai bien sûr, beaucoup appris d’elle car je la voyais maintenant avec des yeux d’adute, l’ayant plus souvent perçue avec mes yeux d’enfant. Elle avait commencé ce journal très jeune. Et j’ai découvert sa vie d’avant, avant nous, ses enfants. Quelle adolescente, jeune fille, jeune femme, jeune épouse, jeune mère elle avait été. Cette partie de sa vie que j’avais du mal à imaginer lorsque j’étais enfant puisque je ne l’avais connue qu’à travers des photos, ou ce que mes grands-parents racontaient d’elle, ou mon père qui l’avait rencontrée relativement jeune. C’était un peu comme si je lisais un roman, comme s’il s’agissait d’une autre personne. Elle retranscrivais très bien ses sentiments, ses idées, ce qu’était sa vie au sein de la société. Elle évoquait tout ce qui l’entourait, les débats idéologiques à chaque époque de sa vie, les avancées de la société et des moeurs, les combats dans lesquels elle s’était engagée. Et puis, sa vie, plus intime, familiale, ses joies, ses peines, ses regrets, l’amour des siens et le désamour, aussi. Les bouleversements occasionnés par la naissance de ses enfants, les particularités de chacun. Son émotion intense. Et là, j’ai retrouvé un peu plus ce que je connaissais d’elle, comment elle était avec moi, sa voix, son odeur. Beaucoup de sensations et de souvenirs revenaient à ma mémoire. Des moments, des instants que j’aimaient. Des cadeaux qu’elle m’a fait et dont j’ai eu parfois tant de mal à me séparer. Comme cette petite robe rouge avec une poche jaune offerte pour mes dix ans. Je l’ai gardée longtemps cette robe et lorsque je m’en suis séparée, je l’ai regretté longtemps.

Corinne J