Marguerite ouvre grand ses yeux bovins.
En vrai, jamais je ne l’ai vue autrement que l’œil ouvert, énorme et luisant.
Marguerite est soucieuse. Cela se voit, car elle rumine. Maman me le dit tout le temps : « Viens me parler au lieu de ruminer ! Ça ira mieux après. » Eh bien, elle doit être vachement tourmentée, Marguerite. Moi, avec mes chewing-gums, je n’arrive pas à rester aussi longtemps la bouche occupée à mâchouiller, mâchouiller, mâchouiller sans que la mâchoire ne me brûle.
Où en étais-je ? Ah oui, Marguerite est tracassée. Oui, mais par quoi au juste ? Dehors, le vent souffle à décorner les bœufs. C’est peut-être ça qui l’embête. Comment elle va reconnaître Léonard, s’il n’a plus ses belles cornes brunes ?
Vlan ! Une porte vient de se refermer. Une boule de poils ronronnante vient de se faufiler entre les pattes de Marguerite. Dans les yeux de la vache, je lis ses pensées : « Je le regarde, je l’écoute ronronner, le chat. Il se lèche la patte droite, puis se sert de son bout de patte comme d’un gant pour se débarbouiller le visage. Il lisse son pelage, encore et encore. Patiemment, il s’occupe de sa patte gauche, de haut en bas. Il se tourne sur le dos puis se lèche le haut du poitrail. »
Leurs regards se croisent. Sur la pupille du chat, je lis un point d’interrogation.
– Eh, Marguerite, t’aurais pas un chewing-gum pour moi ?
La bête se tait. Le chat revient à la charge.
– Eh, Marguerite, t’arrives à faire des méga bulles avec ta gomme ?
La vache le regarde, et ses gros yeux ne traduisent ni animosité, ni amusement. Elle continue de ruminer, en tournant lentement la tête d’un côté à l’autre. Sur sa gauche, Marceline rumine, allongée sur le côté. Sur sa droite, Léontine rumine aussi, les pattes repliées sous elle.