La route était longue devant. Une bande qui se déroulait à l’infini. Comme s’il n’y avait plus ni départ, ni destination. Juste l’entre-deux du voyage. De chaque côté, les arbres défilaient. Non pas flous mais indistinct. Rien de plus que leurs couleurs qui éclataient. Vert, jaune, orange, rouge. Myriade qui cassait la monotonie. Mais était-ce vraiment monotone de découvrir tous ces paysages, si loin de chez nous ? Ou peut-être finit on seulement pas s’y habitué. Comme on ne voit plus la beauté à côté de chez soi. Pourtant, le temps passait bien plus vite ici sur cette route que sur n’importe laquelle à la maison.
La musique remplissait l’espace entre nous. Elle chassait le silence. Elle habitait dans cet entre-deux. Entre deux destinations. Entre deux villes. Entre deux découvertes. Où il n’y avait que l’anticipation qui faisait battre le cœur un peu plus vite. Etait-ce aussi là-bas qu’ici ? Allait-on regretter de continuer à avancer ? Les questions remplissaient elles aussi l’espace mais elles ne chassaient pas le silence. Elles s’y complaisaient. Elles prenaient place dans nos têtes et nos cœurs. Elles se transmettaient d’un regard ou d’un sourire, mais jamais d’une parole. Les mots n’avaient pas leur place dans cet espace. Sur cette route infinie, il n’y avait entre toi et moi que la musique et les paysages. Et parfois, le clic si particulier de l’appareil photo, quant au détour de cette bande d’asphalte se dessinait une vue digne de se souvenir. Tantôt moi, tantôt toi avec l’appareil sur les genoux. Prête à dégainer comme si notre vie en dépendait. Il y avait aussi ces instants où seuls nos yeux pouvaient voir la beauté. Où seul notre esprit se souviendra. D’un arbre. D’une montagne. D’un lac. D’une maison. D’un panneau. Cet instant où l’on savait que la main ne pourrait pas aller aussi vite que l’œil ou la voiture. Alors entre toutes les photos ramenées, il y aura des instants volés rien que pour nous deux. Des instants que nous seules pourront comprendre. Que même les photos et nos paroles ne pourront pas décrire. Dont nous nous souviendrons longtemps avec tendresse.
La voiture ne roula pas indéfiniment sur cette route infinie et à chaque étape, il y avait encore plus de photos enregistrées, d’instants mémorisés. A chaque étape, il y avait une nouvelle facette de ce voyage, de ce pays. Entre ville, forêt, lac, rivière, fjord. Tout était différent et pourtant tout résonnait d’un même éclat. Peut-être tout simplement celui de la découverte. Cet éclat qui faisait briller nos yeux, battre nos cœurs et résonner nos rires. Cet éclat qui nous faisait tout oublier du quotidien. De cette maison au loin qui nous attendait, sans pour autant exister. Il ne restait plus que l’espace entre nous et le goût de l’aventure. Cette envie de tout voir, tout expérimenter. Parce que surement, nous ne reviendrons pas dans ces territoires si différents de chez nous. Alors, il fallait chaque jour une nouvelle ville, une nouvelle expérience. Avalé les 200 km qui séparaient chaque endroit pour avancer toujours plus loin. Voir toujours plus. Laissé la fatigue de côté et aussi parfois la faim pour faire un pas de plus. Pour connaître un mètre, un kilomètre de plus de ce pays.
Et le soir, une fois coincées sous la couette avec les yeux qui se fermaient, pouvoir se dire que cela valait la peine. Toutes ces douleurs, cette fatigue, ces coups de soleil valaient le coup. Pour avoir rempli nos yeux, nos oreilles de merveilles inconnues. Et malgré tout savoir qu’il restait encore beaucoup à voir. Beaucoup que nous ne verrons pas. Mais ce n’était pas grave, pas important. Car nous avions décidé comme un pacte de ne pas courir. De voir ce qu’il y avait à voir, ce que nous pouvions voir. Sans jamais se lamenter sur ce que nous ne verrions pas. De profiter du moment présent sans regretter ce qui ne sera pas. De ne pas anticiper le futur pour avoir le temps d’être ici. Et de ne se souvenir du passé qu’avec bienveillance.
La voiture nous permettait d’avancer loin et vite, mais pour vraiment découvrir il n’y avait que les pieds. Eux qui nous portaient à notre rythme dans des espaces protégés, éloignés des gens. Avec eux, nous pouvions suivre le sentier qui serpentait dans la forêt. Marcher le long du fleuve à l’abri des regards. Ou se perdre dans la ville au milieu des gens. J’aime autant l’un que l’autre. Juste deux sensations différentes de marcher au milieu des réalisations des hommes ou de la Nature. Nous avons plus découvert la beauté de la Nature que celle des hommes. Marcher au milieu des arbres, suivre la cascade jusqu’en haut ou jusqu’en bas, apercevoir le fleuve au loin. Nous pouvions sentir cet air frais, le soleil sur la peau et absorber la magnificence des panoramas. D’une petite vallée, d’un lac niché entre deux montagnes, des forêts changeant de couleur à l’autre de l’automne, du fjord qui s’étendait devant nos yeux. Les balades se succédaient jour après jour mais jamais ne se ressemblaient. Du sentier plat qui nous entrainait plus profondément dans la forêt au sentier escarpé qui longeait le fleuve. Et toujours cette envie qui nous taraudait. Cette envie d’aller voir au bout. Au bout du chemin, au bout du voyage si le paysage pouvait encore nous surprendre. Sentir chaque muscle, chaque souffle qui nous emportait plus haut ou plus loin. Aller chercher ce sentiment de plénitude quand nous finissions par trouver ce petit morceau de carte postale. Cet instant de complicité. Quand il ne resterait plus que les sourires, la chaleur et les muscles qui s’exprimaient. De savoir que le lendemain nous recommencerions même avec les articulations qui craquaient et la fatigue qui montait. Nous savions que ces instants nous faisaient nous sentir plus vivantes et plus en phase. Avec nous-même et avec l’autre. Et d’oublier qu’il existait un monde e dehors de cet espace entre nous deux.
Au-delà des paysages, il y avait cette découverte d’une faune qu’on ne rencontre pas chez nous ou très peu. Chercher dans chaque détour de route ou de chemin à croiser un nouvel animal. Et en même temps trembler d’en croiser certains. Se poser mille questions sur la marche à suivre si nous faisions partie des 1%. Partie de ceux qui croisent un ours. Bien heureusement ce ne fut pas le cas. . En tout cas pas en balade mais dans une cache avec un guide. Cet ours à 3 mètres de nous qui ignorait tout de notre présence. Nous avions tout le loisir de l’observer dans son habitat naturel, dans ses habitudes. Une vraie expérience. J’ai aussi pris le temps d’observer les autres animaux présents. Non pas l’écureuil et son cri d’alerte. Non pas le raton-laveur, roi dans son morceau de forêt. Mais bien nous, les hommes. Les hommes dans leur cache à observer un ours qui vivait sa vie. En prenant de la hauteur, il devenait presque plus intéressant de les observer eux. Tous ces hommes agglutinés contre la moustiquaire à ne voir l’ours qu’à travers l’objectif de l’appareil photo ou le téléphone. A chercher absolument la photo parfaite pour pouvoir se vanter en rentrant. Pour pouvoir l’accrocher dans son salon. Je ne peux pas dire que je n’ai pas fait pareil mais pas indéfiniment. J’ai fini par m’asseoir pour l’observer sans filtre. Et c’était une expérience bien plus enrichissante. Il y avait bien plus que des centaines de photos ratées pour une réussie. Il y aura des souvenirs gravés dans mon esprit et la voix du guide en fond qui m’a appris beaucoup sur les ours. La même expérience s’est répétée avec les baleines. Ce n’était plus une cache mais un bateau et pourtant nous agissions pareil. L’appareil à la main pour être sûr de capturer l’instant parfait de la baleine qui sort de l’eau pour se nourrir. Il était pourtant bien plus drôle de les chercher du regard à travers les vagues. Jusqu’à en voir une presque frôler le bateau dans un mouvement merveilleux à la surface de l’eau. Mais il n’y avait pas que les grands animaux pour nous émerveiller. Chaque écureuil, chipmunk, marmotte nous captivait sur leur passage. EN ville ou dans la Nature, nous les suivions du regard, attendant de voir où ils iraient.
C’était un voyage que nous ne referons pas avant longtemps. Un voyage qui restera gravé pour longtemps. Avec ces 2000 km, nous avons fait beaucoup et rien. Entre Toronto, les chutes du Niagara, les milles Iles, le parc de la Mauricie, Tadoussac, le fjord du Saguenay, Québec, Montréal. Nous avons vu plein de choses. Nous avons découvert beaucoup et pourtant si peu. A l’échelle du pays, nous avons encore moins vu de choses. Mais cela n’a aucune importance par rapport aux images imprimées dans nos têtes, aux instants partagés. Parce qu’on ne se souvient pas de ce qui n’a pas été fait mais plutôt de tout ce qui nous a nourrit au fil du voyage.
Quand on rentre, il ne reste que la satisfaction du chemin parcouru et un pincement au cœur. Il ne reste que ce sentiment ambivalent de vouloir rentrer pour retrouver ses habitudes et en même temps se besoin de rester pour découvrir encore plus. Le trépignement d’impatience de poser ses valises chez soi et la tristesse de les refaire pour rentrer. Que l’instant de monter dans l’avion ne peut pas arriver assez vite et en même temps arrive trop tôt. Et puis, il arrive et on dit au-revoir aux nouveautés, aux expériences et aux vacances. On ferme une porte sur l’aventure, jusqu’à la prochaine fois. Pour retrouver cette vie qui est la nôtre. Et pourtant cette vie à laquelle nous n’avons pas penser un seul instant pendant 2 semaines. Cette vie qui nous attends mais que nous n’attendions plus. Il est bon de se retrouver chez soi, mais on voudrait encore vois les érables rougeoyant par la fenêtre, sentir le soleil et l’air du fleuve sur notre peau et voir un écureuil passé par la fenêtre. La perspective de reprendre la routine nous rassure et nous terrifie. Pourtant on s’y glisse comme dans un gant parfaitement à notre taille. On retrouve le réveil, les transports, le bureau, l’appartement. Les bruits et les images de la vie de tous les jours effacent peu à peu ceux du voyage et tout retrouve sa place d’avant. Ou peut-être pas tout et en tout temps, quand un souvenir refait surface au détour d’une conversation, d’une photo. Et l’on se souvient de cette parenthèse dorée dans nos vies. Et l’on se souvient des paysages, du partage, des anecdotes. On les raconte à qui veut bien les entendre pour les faire vivre encore. Ou on les garde bien au chaud pour soi. Car il n’y a personne pour les comprendre. Pour comprendre l’histoire derrière une photo, un souvenir. Pour savoir le bonheur du voyage à deux.
Alors je me souviens au creux de tes bras du goût des pancakes, de la vue du porche, de ce phare niché à la pointe du cap au Leste, du panorama qui s’étend au sommet de la montagne, des bâtiments bien rangés hu haut de la grande roue, du chalet qui craque, d’un petit restaurant chinois au cœur de la ville, d’un écureuil qui vient nous dire bonjour. Mais surtout je me souviens de tes sourires, de tes regards émerveillés et de ta joie.