Nous habitions ces années là dans une petite ville normande, Pont-Audemer, qu’on appelle la Venise normande, à cause de ses canaux et de ses rivières. Tout le long de notre maison coulait l’une de ces rivières. Quelques gros cailloux affleuraient à la surface et un grand saule pleureur se balançait par grand vent devant nos fenêtres.
Noël était enfin arrivé. Nous avions, mes deux sœurs, mon frère et moi, fait valser depuis longtemps le mythe du vieux bonhomme joufflu mais nous attendions avec impatience l’ouverture des boîtes magiques dans leur papier argenté. Guirlandes, sapin, piano, musique, enfin nous y voici, bruyants, excités. Je suis l’aînée et traditionnellement je suis, des quatre enfants, celle qui reçoit ses trésors en dernier. Cette année-là nous avions été très gâtés. Quand vient le tour de mon père nous découvrons avec stupéfaction qu’il a reçu, entre autres choses, une boîte à outils, l’une de ces grandes boîtes qu’on déplie en tirant sur les deux poignées . Nous sommes très étonnés car notre père est tout sauf bricoleur. C’est même l’unique sujet de dispute avec notre mère. Le jour où, pour lui faire plaisir, il a essayé de repeindre les volets à la campagne, il a fait tomber le pot de peinture verte sur la terrasse toute neuve. Notre père est un gaucher contrarié, notre père est maladroit!
C’est Noël, on mange plein de chocolat, nos grands-parents sont là. Ce sont des jours heureux. Le dimanche suivant, notre frère Philippe qui a toujours plein d’idées rigolotes nous propose de descendre à la cave pour inspecter le contenu de la fameuse boîte à outils. Tournevis, pinces, clefs anglaises, marteaux, clous. « Et si on les faisait flotter dans la rivière » propose ma sœur Dominique qui ne manque pas d’idées non plus. Nous voilà partis, aussi discrètement que possible au bout du jardin, là où la rivière fait un coude et coule plus vite. Un à un nous jetons les outils à l’eau, persuadés que nous les récupérerons un peu plus loin. C’est à qui visera le mieux, un vrai concours au milieu des rires. « De toute façon papa ne s’en servira jamais » affirme ma petite sœur Agnès, pleine de bon sens. Moi, depuis le début je me demande qui a bien pu lui faire ce cadeau et pourquoi. Grand- père ? Tout de même nous sommes un peu inquiets d’avoir perdu presque tous les outils, emportés par le courant et nous rentrons le plus discrètement possible.
Ce n’est que des mois plus tard que mon père a découvert toute l’affaire. En marchant au bord de la rivière il a aperçu deux marteaux coincés entre deux pierres et un peu plus loin une belle clef anglaise rouge vermillon, posée au fond de l’eau. En rentrant il s’est précipité à la cave et à tout compris. « il y a peut-être prescription » a suggéré avec succès notre chère grand- mère Georgina.
Bonsoir Monique
C’est un charmant récit en forme de conte de Noël ! Voici une bande de petits drôles qui ont rendu service à leur père !
Cela dit, posséder des outils, même quand on ne sait pas s’en servir peut procurer une vraie satisfaction, comme si l’on s’approchait, au travers de ces beaux outils (la clé anglaise rouge !!), du savoir faire de ceux qui, eux, savent bricoler !
Ton écriture est toujours aussi agréable et fluide, imagée…
Merci
Bonnes fêtes !
Aliette
un récit et un style qui coulent comme cette rivière porteuse des bêtises enfantines, ou comme le fait remarquer Aliette, porteuse d’un soutien inattendu et salvateur…