Bas-relief

Une vie bien remplie et pourtant te voilà aujourd’hui prisonnier d’un corps diminué. Dix ans qu’un arrêt cardiaque t’a laissé dans un quartier d’isolement. Tu pousses les roues de ton fauteuil roulant par habitude plutôt que par volonté. Ta vie s’écoule lentement. Tu attends avec impatience et tristesse, souvent. Que te reste-t-il de cette vie active que tu menais ? Tes souvenirs semblent grignotés par l’aiguille du temps. Tes repères se brouillent. Tes enfants deviennent tes parents, tes cousins deviennent tes enfants, tes amis ne sont plus.

Ton esprit poète s’est éteint, remplacé par de bien prosaïques considérations sur les menus qu’on te sert. Toi qui adorais lire Stendhal, c’est fini, les lignes disparaissent derrière tes yeux fatigués.

Tu n’as plus de piano et tes mains malhabiles ont du mal à allumer la radio. Ecouter de la musique te fatigue.

Ta peau est diaphane ; tes yeux déjà un peu vitreux comme un horizon brouillé. Ta vie est comme un bas-relief ancien à demi effacé.

Tu attends. Tu as 95 ans mais tu hésites à partir. Rester ? Mais pour quoi faire ?

Tu hésites encore.

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