Lettre à ma tante

 

Chère tante Eugenie,

Avant- hier, en montant dans le TER Paris- Le Havre de 12:45 je t’ai aperçue. Ou plutôt non, dans un premier temps j’ai cru t’apercevoir. Je me suis assise. Une bourrasque soudaine inclinait les branches près de la fenêtre, la pluie brouillait les vitres, un sifflement continu passait entre deux fenêtres, l’argile des champs se détrempait lentement. J’étais fatiguée, j’ai somnolé près d’une heure. En me réveillant j’ai eu la certitude que c’était toi, ma tante, assise dans la voiture 29 avec ton amie Odile. Nous avions déjà dépassé Rouen. Qu’est ce que tu allais faire au Havre ?j’ai mis mes lunettes de soleil et je suis passée lentement dans le couloir. Nous pensions tous que tu étais partie ce même jour à Reims, pour voir ta sœur. Enfin c’est ce que tu nous avais dit le dimanche précédent. «  Marie n’est pas en forme, je vais aller la voir » «  tu es sûre ma tante, tu vas aller toute seule à Reims ? Tu avais haussé les épaules, exaspérée. «  Mais bien sûr, qu’est ce que vous croyez! ». On avait insisté «  tu ne veux vraiment pas qu’on t’accompagne ? » « ah non j’y vais seule! » parfois tu as un ton comme ça , pas de réplique, on se tait.
Je suis restée entre deux wagons en tendant l’oreille. Effectivement tu allais très bien, tu étais même en grande forme! Deux personnes que je ne connaissais pas ( et nous qui pensions connaître toutes tes amies!) étaient assises  avec vous. Et la conversation allait bon train. «  toi tu vas craquer combien? «  «  je ne sais pas encore, ça dépendra » «  la dernière fois j’ai été refaite de 2000  « à dit Odile en riant. «  Et toi Lulu ?  » as- tu demandé à une petite dame à l’air tout guilleret. «  à peu près autant je crois » «  lundi prochain j’y retournerai avec Jean » je ne connaissais pas non plus cette dame assise à côté de toi. Toi ma tante tu t’es marrée. Tu avais l’air de plus en plus en forme à mesure que nous approchions du havre. J’ai regagné ma place. Un contrôleur est passé, pressé, poli. Dans les champs des vaches toutes mouillées  nous regardaient passer . Soudain j’ai compris, vous alliez au casino. Personne dans notre famille ne va me croire! Toi ma chère petite tante, tu allais jouer  ta retraite au casino du Havre avec tes copines. Voilà , j’ai enfin compris pourquoi tu es toujours fauchée, pourquoi tu ne peux jamais donner un petit billet à nos enfants, même les jours d’anniversaire. Tu flambes, tu es possédée par le démon du jeu!!
Finalement je ne dirai rien à personne, tu avais l’air si heureuse….bonne chance et à dimanche .

 

 

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