Elle savait qu’elle allait jouer toute la journée avec des formes, des lumières, du bruit, du mouvement. Elle attendait ce moment depuis longtemps, très longtemps.
Aujourd’hui, sac au dos, appareil photo à la main, chaussures confortables aux pieds, elle avait pris un métro hurlant et s’était élancée à l’assaut de son pèlerinage. Dix ans qu’elle n’avait pas revu cette ville. Dix ans durant lesquels randonnées pédestres, campagne, air pur et verdure avaient bercé ses loisirs. Elle allait enfin savourer cette descente urbaine.
Il était tôt. Un froid piquant lui mordait le bout du nez, la lumière était déjà claire, le vent s’engouffrait dans les rues longilignes. La ville dormait encore, elle l’avait pour elle toute seule. Sentiments de désolation et de force se mêlaient. Elle attendait le réveil ébouriffant, l’agitation, les klaxons, la pollution, les sirènes. Elle aimait cela.
Au hasard de ses pas, elle cherchait les reflets d’immeubles, les nuages qui filaient, le soleil qui dansait sur les parois de verre. Des tableaux vivants.
Le nez en l’air elle avançait sans se soucier des passants. La ville s’éveillait, les bruits emplissaient l’espace, les odeurs aussi, un mélange sucré-acre, donuts-gasoil. Et puis soudain, les tours, gigantesques, psychédéliques, des lignes pures, élancées, biscornues, défiant les lois de la physique; des rues droites, des perspectives comme des rêves de liberté.
Bouche bée! Une nouvelle marée de gratte-ciel avaient poussé comme des champignons, leur construction toujours plus audacieuse.
Le monde avait continué sa course, loin de ses randonnées en pleine nature. Ici, ni vache, ni forêt, ni fleur, juste des horizons.